Poésies d’amour, l’amour à la japonaise
Un empereur épris de poésie
En l’an 905, l’empereur Daigo commande à des poètes de renom la réalisation d’une anthologie qu’ils nommèrent Kokinwakashû, en abrégé Kokinshû, et en français « poésies japonaises d’hier et d’aujourd’hui ». Pour hier les poètes passés, et pour aujourd’hui les poètes en charge de la compilation : on n’est jamais si bien servi que par soi-même. Ce que ne dit pas le titre, c’est que ces poèmes traitent exclusivement de l’amour ; sans doute parce que l’on n’a pas besoin de souligner les évidences ? Le souverain souhaitait sans doute de l’amour, encore de l’amour, toujours de l’amour… à ne pas confondre avec l’érotisme cru des estampes bien connues ! Sur la chose, les poètes se montrent discrets, moins cependant sur les affres et les tourments de l’amour.
Le livre ici publié donne à lire, en version bilingue, les 360 poésies des livres XI à XV de l’anthologie sur les 1100 qu’elle recèle en son entier. L’ensemble est traduit, présenté et annoté par Alain-Louis Colas.
Les cinq étapes de l’amour
À en croire les poètes japonais, l’expérience amoureuse connaîtrait invariablement cinq étapes. Ils témoignent d’une belle lucidité qui n’épuise pourtant pas le charme de la chose.
Tout commence par les Prémices.
Sans être sûr
de vous avoir bien aperçue
je me sens épris
Proclame un certain Narihira…Viennent ensuite l’Approche. Longue, douloureuse, incertaine :
À l’automne, il fait
retentir la montagne
de sa plainte, le daim
… puis l’Union tant espérée :
Si fort, mon amoureux
tourment, que son feu va
m’éclairer, la nuit
Avoue la dame Komachi. Puisque, en ce dixième siècle au Japon, les femmes étaient présentes en poésie.
Hélas tout finit par un Désaccord :
Je vais vous oublier
ne m’en faites point reproche.
Le coucou
avant qu’on se lasse de l’automne,
sait se retirer à temps.
… et par l’Éloignement :
Un nuage
si lointain, voilà
ce que vous êtes devenu !
Écrit, cruellement, La fille d’Aritsune.
Le lecteur s’étonnera sans doute de la finesse d’analyse, de la merveilleuse délicatesse de ces courts poèmes, des manières de haïkaï écrits au dixième siècle et avant. Ils témoignent d’une culture déjà parvenue à ses sommets.
Mathias Lair
Collectif, Poésies d’amour, Livres XI à XV du Kokinshû, édité et traduit par Alain-Louis Colas, Gallimard Folio Bilingue, octobre 2024, 368 pages, 13,10 euros