Panama, un canal pour mémoire
Pour des lecteurs français plutôt âgés, le canal de Panama évoque un des plus grands scandales de la IIIe République. Ainsi, une foule de petits porteurs est ruinée et la carrière de Clemenceau en pâtit : battu aux élections, il ne fera son retour au Sénat qu’en 1902. Mais ce canal c’est aussi l’histoire de tous ceux qui l’ont creusé et construit, à la fin pour le compte des Etats-Unis. C’est aussi la naissance d’un petit pays qui se détache de la Colombie. Jean-Yves Mollier, professeur d’histoire à l’université de Paris Saclay/Versailles Saint-Quentin, auteur du scandale de Panama (Fayard, 1991), publie ici une synthèse éclectique sur le sujet.
La mainmise américaine

La construction du canal de Panama, projet lancé par le français Ferdinand de Lesseps (l’homme de Suez), est en effet récupéré par les Américains. Ceux-ci s’approprient le projet, investissent massivement dans une nouvelle société et font venir de la main d’œuvre étrangère : des espagnols et des grecs mais surtout des antillais, de la Barbade, de la Jamaïque ou de la Guadeloupe : une histoire méconnue malgré un livre de Maryse Condé. Si les ingénieurs américains réalisent des prouesses, c’est au prix d’un effort humain considérable, donné dans des conditions de travail très difficiles. Si les Américains réussissent à éradiquer les maladies, ils importent au Panama la ségrégation raciale, avec les noirs en bas de l’échelle. Aucune importance s’ils meurent sur le chantier… Reste que leurs descendants, souvent restés sur place, cherchent à construire la mémoire de leurs ancêtres.
Mémoire(s)
Le canal a été rendu au Panama en 1999. On a récemment entendu Donald Trump maugréer que les Etats-Unis devraient en reprendre le contrôle (militairement ?). Toujours est-il que ce sont aujourd’hui les Chinois qui tirent les marrons du feu (et nombreux étaient les coolies présents lors des travaux). Notons que le Nicaragua voisin rêve depuis cent cinquante ans d’avoir son canal, ce qui serait une catastrophe écologique. Remarquons que la Colombie n’a jamais digéré la création du Panama, vu au départ un état croupion créé par l’impérialisme yankee. L’histoire de la construction de ce canal a d’ailleurs nourri un fort sentiment anti-étatsunien en Amérique latine. Cet ouvrage permet d’embrasser toutes les dimensions de l’histoire de la construction de ce canal devenu essentiel au commerce mondial.
Sylvain Bonnet
Jean-Yves Mollier, Panama, Flammarion « Au fil de l’histoire », septembre 2025, 287 pages, 22 euros