Queens Gangsta, le capitalisme de la drogue
Le crack et les dollars
Kenneth et Gerald regardent les avions décoller et atterrir de JFK. Ils passent des après-midi entiers à assister à ce ballet aérien, en fumant des blunts et en éclusant les bouteilles d’Old English sur Lefferts Boulevard, confortablement installés dans la Chevrolet Tahoe de Kenneth.
– Ils vont où à ton avis tous ces coucous ? Demande Gerald à son oncle.
– Celui-ci va à Paris, mec !
New York, début des années 80 dans le Queens : deux jeunes noirs, Kenneth McGriff et son neveu Gérald Miller montent un réseau deal de crack. Les voici devenu Preme et Prince et ils vont amasser les dollars en vendant leur dose à des camés au bord de l’overdose. Ils prennent comme modèle les sociétés légales qui marchent et s’organisent très sérieusement pour satisfaire leurs clients. Ils bénéficient aussi à fond de la politique économique d’un homme, Ronald Reagan. L’ancien acteur devenu président réduit le plus possible les aides sociales, aggravant la précarité de la minorité noire et poussant certains de ses membres dans la came. Sans Reagan, pas de Supreme Team. Pour Preme et Prince, les belles filles, la fête mais les meilleures histoires ont une fin…
Une œuvre référentielle et incandescente
Queens Gangsta s’inspire d’une histoire réelle, celle du gang de la Supreme Team, véritable légende qui a inspiré pas mal de rappeurs. Pour raconter leur histoire et aussi pour la rendre « romanesque », Karim Madani était le candidat idéal. Journaliste, passionné de musiques urbaines, il a aussi signé des romans comme Le jour du fléau (Gallimard série noire, 2011) et des biographies comme celle du réalisateur Spike Lee (éditions Don Quichotte, 2015). Il livre une histoire âpre avec des personnages qui, au fond, réalisent leur rêve américain à la manière du Tony Montana du Scarface de De palma. Les amateurs de rap apprécieront aussi les clins d’œil à Run DMC ou LL Cool J.
Queens Gangsta est un polar réussi, sorti d’un monde disparu.
Sylvain Bonnet
Karim Madani, Queens Gangsta, Rivages « New York made in France », juin 2022, 320 pages, 21 euros
