L’inconnue de Vienne, chef-d’œuvre de Robert Goddard

Robert Goddard est le maître du roman où l’intrigue se forme sur des secrets de famille et des allers-retours entre les époques, les mémoires, les personnages. Il construit ainsi d’épais romans qui emportent le lecteur dans une série d’énigmes simples d’apparence, voire bénignes, mais qui jouent avec beaucoup de justesse sur la curiosité humaine. L’Inconnue de Vienne ne déroge pas à cette règle : que croyez-vous savoir des rencontres amoureuses ?

Ce fut comme une apparition

Alors qu’il est envoyé à Vienne pour quelques photos d’art, Ian Jarrett, le narrateur, voit venir vers lui cette femme qui semble offusquée d’avoir été prise dans son champ de vision. Son habit rouge explosait si bellement sur la neige… Leur rencontre à la force d’une évidence. Vite ils deviennent complices, amants, et se jurent un avenir idyllique. Comme ils doivent rentrer à Londres tous les deux, ils se donnent un rendez-vous romantique. Il est épris comme un adolescent, et heureux, si bien qu’à peine rentré il prend ses affaires, quitte sa femme et va s’installer chez son meilleur ami, dans l’attente de ce rendez-vous.

L’avenir est à lui. C’est un photographe reconnu, il va avoir à ses côtés la plus belle femme du monde.

Mais elle n’est pas au rendez-vous. Quelle force a pu la retenir loin de lui ? Quelle menace pèse sur elle ? Aussitôt, Ian Jarrett se met en quête de cette femme dont il ne connait que le nom et la région approximative d’habitation. Mais son nom ouvre sur de nouveaux mystères, car comme tout le reste, il est faux. Mais il recèle malgré tout assez de substance pour qu’une histoire extraordinaire mêlant l’histoire de la photographie, la royauté, un vieil accident et autant de fausses pistes qu’il y a de personnage. Et le narrateur s’essouffle dans cette quête de vérité où chaque nouvelle découverte ouvre sur autant de faux que d’improbables…

L’art du récit

Robert Goddard maîtrise comme personne l’art de l’enchâssement. A partir d’un simple fait, anodin voire trivial tellement il a été sujet de romans, il plonge le lecteur dans une aventure qui va mêler les époques et les personnages. Bien sûr, il n’est pas possible de lâcher le livre dès lors que sa machinerie est en place, même si pour certains lecteurs pressés il faudra se faire un peu violence, car Goddard installe avec grand soin ses pièces dans un jeu dont le lecteur est la victime.

L’Inconnue de Vienne est un terrible périple pour Ian Jarrett qui va mettre toute sa vie en jeu pour retrouver cette femme… dont au final il comprendra qu’il ne sait rien. Il mettra sa mémoire mais aussi celle de tous le protagonistes qu’il va chercher à rencontrer pour répondre à une seule question : qui est-elle, cette femme qui le hante au point d’avoir mis sa vie en jeu ?

L’écriture de Robert Goddard, si bellement traduite par Laurent Bosq, est prenante, simple et magistrale à la fois, qu’elle impose son propre rythme, ses propres images, et qu’elle nourrit l’imaginaire du lecteur. L’Inconnue de Vienne est un chef d’œuvre.

Loic Di Stefano

Robert Goddard, L’Inconnue de Vienne, traduit de l’anglais par Laurent Bosq, Sonatine, août 2022, 438 pages, 23 euros

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