Klaus, souvenirs intimes sur Kinski

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Klaus : par la journaliste Hélène Merrick, un portrait d’une centaine de pages du Kinski qu’elle connut dans les années soixante-dix. Évocation, non pas du comédien, mais d’un homme, et nostagie d’une période et d’un Paris aujourd’hui disparu. 

Vers le milieu des années soixante-dix, alors que je me promenais dans une ruelle de Saint-Germain des Prés, j’eus envie de savoir l’heure qu’il était, mais je n’avais pas de montre. Je me dis que l’individu tout de blanc vêtu qui s’avançait alors dans ma direction en avait peut-être une, mais, lorsque je me rendis compte que c’était Klaus Kinski, je passai mon chemin sans rien dire.

Hélène Merrick, que je connais maintenant depuis une trentaine d’années, puisqu’elle faisait avec moi partie de la rédaction de la revue de cinéma Starfix (1983-1990), a, elle, bien plus de choses à raconter sur Kinski. 

Ayant repéré celui-ci dans le film El Chuncho en 1974, elle se dit qu’elle venait de découvrir le visage qui manquait encore au héros de la bande dessinée qui lui trottait dans la tête depuis quelque temps. Cette bande dessinée est aujourd’hui définitivement perdue, mais ce fut la carte de visite qui lui permit de rencontrer le modèle original et de vivre avec lui, deux ans durant, une histoire qu’elle raconte dans un livre intitulé tout simplement Klaus. Son Kinski, on le verra, n’est pas exactement conforme au Kinski que les journaux ont décrit depuis qu’il est allé rejoindre, en 1991, les fantômes de la nuit.

FAL      

Entretien

« Klaus » tout court pour le titre ? Ni le nom « Kinski », ni la moindre photo sur la couverture ? Ce choix est-il bien commercial ?

Hélène Merrick. Commercial ? Ce mot ne m’a même pas traversé l’esprit quand j’ai commencé à raconter mon histoire avec Klaus Kinski ! Indiquer son nom aurait fait croire à une biographie, ou à une filmographie commentée. Ce n’est pas le cas, c’est un souvenir personnel ; le prénom de Klaus est suffisamment éloquent dans le monde du cinéma. La mention « Roman » sur la couverture s’adresse au lecteur non cinéphile, qui peut être intrigué par le titre et chercher une indication sur la 4e de couverture. Si j’avais voulu être commerciale, j’aurais choisi une couverture tapageuse, publié les photos de moi qu’il a prises, belles mais pas obscènes. J’aurais décrit notre relation avec des mots crus et j’aurais détaillé des choses intimes qui ne regardent que moi. 

Que racontait exactement la bande dessinée, aujourd’hui perdue, qui vous avait permis d’approcher Kinski ? N’êtes-vous pas tentée de la refaire aujourd’hui ?

J’évoque le contenu de cette bande dessinée dès la première page : « C’était un héros solitaire, comme le cowboy maudit d’El Perdido ou le Blondin des westerns de Sergio Leone. 

Affublé d’un grand manteau poussiéreux, de bottes fatiguées, “ Transformeur Doc ” traverserait les épreuves, accablé par un lourd passé, sans rien perdre de sa beauté ni de sa force. Dans chaque patelin où s’arrêtait ce type, il se passait des horreurs : les habitants étaient transformés en monstres, des cataclysmes se produisaient. Le mec était “ damné ” (!). Avec la tête et le regard habité de Kinski. Comme de bien entendu, une belle héroïne, d’abord esclave puis rebelle, le séduirait et partagerait un paquet d’aventures avec lui. Je l’avais imaginée et dessinée comme Hedy Lamarr dans Tondaleyo. Ça faisait un vraiment beau couple ! » 

Refaire cette BD ? Cela fait plusieurs décennies que je n’ai plus dessiné le visage de Klaus. J’ai essayé, pour éventuellement illustrer la couverture ; ça n’est pas revenu. Cela me ramène à votre première question : sur la couverture du livre, je pensais mettre, sous le titre ou au-dessus, seulement ses yeux, ou un gros plan de son visage dans El Chuncho (ou dans Cobra Verde, où il est absolument somptueux), mais toutes les photos qui me plaisent sont assujetties à des droits. Une obligation que ni mon modeste éditeur ni moi-même ne pouvions assumer. 

Vous racontez que vous aviez repéré Kinski dans le film El Chuncho ? Une jeune fille de dix-huit ans s’intéressait à ce genre de film ?

Qu’est donc censée aimer une jeune fille de dix-huit ans ? Mon premier film, je l’ai vu à l’âge de cinq ans, c’était un péplum : Fabiola ! Tous les dimanches, mes parents m’emmenaient au cinéma de quartier. J’ai absorbé des centaines de films, tous de genres différents. Beaucoup de westerns, entre autres. Quand, adolescente, j’ai vu arriver les westerns italiens, j’ai été enthousiasmée par leurs innovations, récupérées d’ailleurs par le cinéma américain. Pour une poignée de dollars et ses suites, Sergio Leone, Sergio Corbucci, Pasquale Squitieri… Je regarde souvent Le Bon, la Brute et le Truand, un de mes films préférés. El Chuncho (alias Quien sabe ? ou Yo soy la revolución), je l’ai vu un soir à la télévision en 1974 et j’ai eu le coup de foudre pour cet homme magnifique qui jouait un prêtre guerrier. 

Je recommande la lecture de 20 ans de western européen, un superbe ouvrage écrit par Alain Petit sur ce sujet. De nombreux westerns avec Kinski y sont évoqués.

Klaus Kinski dans Aguirre, la colère des Dieux de Werner Herzog (1972), son plus grand rôle

Vous dites que ce que vous avez vécu avec Klaus Kinski est à mettre en rapport avec l’esprit des années soixante-dix. Serait-ce inconcevable aujourd’hui ?

Ce qui est inconcevable en ces désespérantes années 2000, c’est la liberté avec laquelle on se promenait dans les rues de Paris au bras d’une superstar de cinéma, sans gardes du corps, sans flicage, sans fouille de sacs ; c’est la facilité avec laquelle j’ai pu trouver Kinski, l’approcher, le rencontrer sans aucune méfiance de part et d’autre. Les badauds le laissaient passer sans lui arracher ses chemises, sans lui taper sur le ventre, sans exiger de stupides selfies et sans l’insulter ! C’était aussi l’époque de l’Humour libre, où on chantait, on filmait, on écrivait et on racontait tout ce qu’on voulait sans être aussitôt accusé d’être « politiquement incorrect » – quelle abominable expression !

Liberté de parole, liberté d’habillement, liberté sexuelle sans crainte du sida, coût de la vie abordable et, surtout, possibilité de quitter un travail un jour et d’en retrouver un autre le lendemain. Temps béni, malgré mes difficultés financières et familiales évoquées dans le livre.

Vous ne parlez guère de ce qu’on a appris sur Kinski depuis qu’il est mort. Ne va-t-on pas vous accuser de donner une image très incomplète du personnage ?

Je ne raconte que ce que j’ai connu de lui. Ceux qui veulent en savoir plus ont l’embarras du choix, entre les documentaires sur lui, sur ses tournages, et ses interviews, si faciles maintenant à trouver sur le net et à la télévision. Qu’a-t-on « appris » sur lui depuis sa mort ? N’importe qui s’est mis à raconter n’importe quoi, à le dénigrer, à relayer des calomnies. C’est si facile de cracher sur la tombe d’un mort…

Vous arrive-t-il de (re-)voir aujourd’hui des films de Kinski ?

Bien sûr ! J’aime surtout les films qu’il a tournés avec Werner Herzog. Aguirre, le splendide Fitzcarraldo, Cobra Verde, ou le documentaire, si drôle, Ennemis intimes.

Dans L’Important c’est d’aimer, je ne regarde que les passages avec lui et Romy Schneider. Klaus décrivait ce film comme « les immondices intellectuels » de Zulawski ! C’est ce genre de réflexion qui me faisait hurler de rire, cette lucidité implacable, ses opinions sans concessions. 

Ce que je ressens en le revoyant, si rayonnant, si charnel, sachant que ses cendres dérivent dans l’océan Pacifique ? Un déchirement, du désir, et l’envie de ne plus en souffrir. 

N’avez-vous jamais été tentée d’écrire une biographie en bonne et due forme de Kinski ?

« La bonne et due forme », Kinski l’a mise en œuvre dans sa biographie Crever pour vivre (publiée en France en 1976). Un titre sur mesure. Sa réédition, édulcorée et augmentée, est sortie sous le titre J’ai besoin d’amour à la fin des années quatre-vingt. Sur son enfance, son adolescence, sa vie privée, lui seul pouvait tout dire sans fard. Des biographies ont été écrites sur lui, dont il se moquait royalement (« Toutes ces merdes » !) Paraphraser sa réalité serait grotesque et insultant. Étudier ses films ? Beaucoup l’ont fait. Je ne pourrais parler que de son caractère, de ses rêves, de ses ambitions et de ses obsessions ; et sur son âme je pourrais beaucoup écrire… si j’en trouvais la force. Quien sabe ?

Propos recueillis par FAL

Hélène Merrick, Klaus, Ecrituriales, avril 2019, 114 pages, 10 euros.

On trouvera un extrait du livre sur le site de l’éditeur

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