Black Flies, l’enfer d’un ambulancier dans Harlem

Précédemment publié sous le titre 911, Black Flies de Shannon Burke est une  plongée crue et dure dans le monde des ambulanciers newyorkais. Cette édition complète la précédente

Echec de l’humanité

Cross est un jeune ambulancier qui rejoint une équipe déjà installée. Sa naïveté va tourner les autres contre lui et sa formation se fera dans le dur, sans préavis, sur le terrain et dans les vestiaires. Entre eux, c’est la violence la plus dure, pas de pitié, comme si le terrain les avait dénaturé. Ses coéquipiers sont des hommes pour qui la mort est un fait du quotidien comme un autre, qu’on peut manger son burger tranquillement à deux pas du cadavre, devant les familles, parce que c’est l’heure… Vétérans, comme revenus de l’enfer, blasés. En ce sens Black flies est un roman de formation, de transformation d’une vocation pour la vie à une fréquentation banale de la mort.

Shannon Burke aligne les scènes, les images, les dialogues qui n’ont qu’une seule orientation : montrer le réel. Et ce réel, le quotidien qu’il a lui-même vécu pendant cinq ans en sillonnant Harlem, est insupportable. Au point que cela lecture peut en être éprouvante. C’est comme une ligne de front, dans un état perpétuellement en guerre. Le but est de produire des chocs, de venir heurter la conscience afin qu’on en vienne à se demander si ce réel si noir peut vraiment être réel. Et pourtant…

Car Black Flies est certes un roman, mais c’est plus peut-être un document, un reportage. Les moments de récit sont entrecoupés de « documents » factuels qui viennent ancrer l’histoire dans le réel. Et cela donne des personnages plus ou moins humains, devenus des monstres froids eux-mêmes, à force d’être déshumanisés par la surabondance du monstrueux. Cruels entre eux, froids envers les accidentés, ils jouent avec leur vie en faisant des paris et en laissant le bleu s’entraîner à des techniques de tubage, par exemple, devant la famille de l’accidenté…

Un roman testimonial

Le fond de Black Flies est un témoignage de la souffrance humaine. Burke met son expérience personnelle au service du récit, et transmet à son personnage, Cross, ses pires visions. Parmi elles, la durée de vie des drames, qui font l’actualité, et qui passent très vite, au suivant. Comme une sarabande infernale dans laquelle l’ambulancier, voué à sauver des vies, n’est là que pour regarder. Et souffrir. Beaucoup.

Les black flies, mouches noires, tournent autour des cadavres. Les ambulances ne sauvent pas, elles ne servent qu’à témoigner. Elles portent la lumière, noire, douloureuse, terrible, du quotidien auquel les humains fragiles y sont exposés tous les jours.

Black Flies est une roman noir, difficile, âpre, mais combien fort. Terrible. Il fait froid dans le dos, cet appel d’urgence à voir la société en face, dans sa plus stricte hideur.

Loïc Di Stefano

Shannon Burke, Black Flies, Sonatine, mars 2023, 203 pages, 20 euros

Laisser un commentaire