Le sabordage de la noblesse, des aristocrates pas si décadents

Un historien de la chose militaire à l’époque moderne

Les lecteurs de la revue Guerres et histoire ainsi que les nombreux amateurs d’histoire militaire, connaissent bien Fadi El Hage, auteur de nombreux articles et contributions sur la guerre à l’époque moderne. On lui doit aussi des biographies du maréchal de Villars (Belin, 2012), du duc de Vendôme (Belin, 2016), une histoire des maréchaux de France à l’époque moderne (Nouveau monde, 2012) et une brillante synthèse sur la guerre de succession d’Autriche (Oeconomica, 2017). Il revient ces jours-ci avec un essai, Le Sabordage de la noblesse, qui paraît chez un nouvel éditeur, Passés composés, qui ne manque pas d’ambition.

Aux origines de la Révolution ?

Dans Le Sabordage de la noblesse, Fadi El Hage revient sur un lieu commun de l’historiographie française, c’est-à-dire le déclin de l’aristocratie et plus largement de la noblesse. De nombreux auteurs lui ont reproché sa décadence morale, le relâchement de ses mœurs et un intérêt de moins en moins marqué pour le métier des armes, son cœur de prédilection si on peut dire.

Le dix-huitième siècle est plein de ces critiques qui s’exprimaient déjà au sein de la noblesse de robe et de la bourgeoisie, alimentée aussi par nombre d’écrits ou de mémoires écrits par des aristocrates. Fadi El Hage démontre déjà que le dix-huitième siècle est un moment relativement pacifique, pour la période 1715-1789, où l’armée française est de moins en moins engagée. De plus, les aristocrates et leurs critiques, comme on l’a vu, plein aussi de références à l’histoire romaine et à la supposée « décadence » de la nobilitas, ont largement créé ce reflet si déplaisant de leur propre situation, générant fantasmes et envie.

Une caste en pleine mutation

Rappelons que la noblesse se voit normalement interdite de se mêler de commerce ou de finance. Ce tabou social est de plus en plus contesté : on voit par exemple le duc de Bourbon investir dans le système de Law et de plus en plus de nobles dans les années précédant la Révolution ont recours à des prête-noms pour faire des affaires. On le voit, la défiance envers l’argent ne date pas d’hier en France !

Plus généralement, la noblesse est à la recherche d’un rôle politique qui ne passe plus exclusivement par les métiers de la guerre : pensons à l’influence du Télémaque de Fénélon et aux critiques du despotisme de Louis XIV. L’ordre est aussi attaqué pour ses privilèges, son goût des duels et sa façon d’ignorer des lois qui s’appliquent aux roturiers.

Décadente la noblesse ? Elle ne manquait pas de talents derrière la frivolité et l’esprit et elle compte nombre de révolutionnaires en ses rangs.

Voilà un essai percutant qui met à mal bien des idées reçues.

Sylvain Bonnet


Fadi El Hage, Le Sabordage de la noblesse – mythe et réalité d’une décadence, Passés composés « L’atelier de l’histoire », mars 2019, 252 pages, 22 eur

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