« La fuite » de Paul-Bernard Moracchini

Tout commence par un homme qui prend le train, on ne sait pas encore vers où et pour quelle raison. Puis, la raison de ce voyage commence alors à pointer. Comme nombre d’entre nous, cet homme insupporté par notre société désirant tout plaquer, se retirer d’un monde qu’il juge dépourvu de sens, passe à l’acte…

Allant jusqu’au bout de son désir vital, en même temps qu’il se débarrasse symboliquement de ses boutons de manchette par la fenêtre du wagon, il fait ses adieux à sa vie sédentarisée passée et s’en gagner les montagnes de l’île de beauté nécessaires à son exil salvateur. Libéré des contraintes sociales, des assujettissements et compromissions, seul dans les hauteurs corses le citadin qu’il est va alors se confronter à la nature. Cette nature magnifique mais sans pitié, implacable pour qui ne sait la dompter.

« L’homme est un animal malade »

Bien que le futur ermite ayant élu domicile dans une cabane abandonnée ait préparé ce retour aux sources, il mesure alors que l’adaptation à son nouveau cadre de vie ne sera pas chose aisée. Pour subvenir à ses besoins vitaux, le consommateur servile qu’il fut va devoir se muer en chasseur, activité loin d’être de tout repos et qui réserve parfois des surprises…

 

Comment faire la part des choses quand, a trop s’isoler, la voix humaine nous devient moins familière que les claquements des éclairs ? »

 

A mesure qu’il se confronte à lui-même et la solitude, confronté à l’expérience des limites tant physiques que psychologiques, la frontière entre rêve et réalité s’estompe. Comme Robinson Crusoé, pour rompre avec la solitude il trouvera un compagnon de route, en l’occurrence un chien blessé qu’il sauvera et surnomme « Lionne ». Loin de l’agitation et du bruit des hommes, en effectuant son retour à la nature il va découvrir lentement les soubassements de son âme, ranimant des pulsions et des instincts mis en sommeil. C’est alors une aigreur, une âpreté et des vomis de ressentiments qui s’emparent de son être. La sérénité tant attendue n’étant pas au rendez-vous. Plus la perte des repères s’effectue, plus cet homme ayant renié ses contemporains perd pied…

On découvre alors petit à petit et par fragments « la vie d’avant » du narrateur, le puzzle de son existence se constituant pièce par pièce. On comprend mieux alors le cheminement existentiel qui l’a amené à prendre la tangente, la radicalité de sa décision n’en étant que plus compréhensible.

 

« Reste-t-on homme lorsque l’on n’a plus personne à qui se mesurer ? »

 

On réalise à travers ce court roman naturaliste, apparenté à ce que les américains nomment « natural writing », qu’il est illusoire de penser que quitter notre habitat suffit à nous extirper des maux nécrosants de notre époque ; le mépris, le cynisme et la haine collant au corps du narrateur comme du goudron. Fuir ce qu’il considère la médiocrité existentielle n’étant pas gage de réussite pour accéder à l’épanouissement ; la lucidité de son regard sur notre civilisation à l’aube ne suffisant pas pour lui permettre d’emprunter les chemins de l’éveil.

Constat cinglant pour tous ceux qui refusent notre époque, honnissent l’aliénation de notre société contemporaine et cherchent à s’en échapper… La libération tant espérée n’étant malheureusement pas toujours au bout du chemin.

 

Romain Grieco

 

Paul-Bernard Moracchini, La Fuite, Buchet Chastel, août 2017, 160 pages, 14 euros

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