La Mauvaise main, polar tribal vosgien
Eric n’a plus rien. Estropié d’une main, il n’a d’autre solution que de mendier l’hospitalité de sa famille, qui l’a abandonné, juste après qu’il ait perdu sa main à la scierie familiale. Dans des Vosges ténébreuses et glauques, Gilbert Gallerne pose le décor de Mauvaise main, un polar familial — tribal presque — d’une rare efficacité.
« C’est moi qui mélange ? Ou on est tombé dans une tribu de tarés ? »
Isolé sur les hauteurs de Saint-Dié, au milieu de la forêt, la scierie des Broux (1) ne tourne plus guère mais la famille survit. L’aîné domine en maître, par la violence, sa propre famille, celle de son frère cadet et son oncle et sa mère aussi bien. C’est commis cette tribu était coupée du monde et avait renoué avec les forces sauvages de la survie animale.
C’est ici que débarque Eric, poussé par la nécessité et la faim. Il n’était pas revenu depuis qu’à 5 ans il y eut un accident tragique qui lui fit perdre une main. Sa femme Elise est enceinte de huit mois, mais ils n’ont plus aucune ressource, mais revenir était-ce vraiment la meilleure idée ?
Ce retour est le petit grain qui va faire s’entailler toute la machine familiale et créer la béance d’où émergera la vérité. La vérité ou les vérités ? Celle d’Eric sur son traumatisme infantile mais aussi les secrets qui unissent les membres de cette tribu. La vérité des femmes et des enfants contre celle des hommes. La vérité enfin du monde civilisé contre les ressources maléfiques tapies au sein même de l’âme humaine.
L’écriture de Gilbert Gallerne est précise, nette comme un coup de serpe, avance par petites phrases simples et fortes. C’est une machine implacable qui vous conduit au dénouement le plus tragique, et même si l’on sent venir les choses, si l’on construit pour soi-même quelques fins logiques, ce que l’on prend en pleine figure n’est rien moins qu’un choc. Son huis-clos familiale, Mauvaise main, est mené avec brio contre les nerfs du lecteur.
Loïc Di Stefano
Gilbert Gallerne, Mauvaise main, French Pulp, janvier 2019, 255 pages, 18 eur
(1) Un broux de noix est l’écorce grossière qui protège la coque, cette onomastique donne une assez belle vision de la famille…