La cathédrale incendiée, septembre 1914 un monument martyre

Une figure allemande de l’histoire de l’art

Historien de l’art assez renommé outre-rhin, Thomas W. Gaehtgens a bénéficié de nombreuses traductions dans nos belles contrées gauloises et réfractaires : on lui doit ainsi une étude sur le peintre Joseph Marie Vien (Arthéma, 1988), une synthèse sur le XVIIIe siècle dans la série histoire culturelle de l’Europe (Seuil, 1998) ou L’art sans frontières, les relations artistiques entre Paris et Berlin (Librairie générale française, 1999). Il publie ici un livre dotée d’une riche iconographie (93 illustrations) sur un événement qui mit à mal la relation artistique franco-allemande : l’incendie de la cathédrale de Reims en septembre 1914.

Un évènement désastreux

La cathédrale, lieu mythique pour une large partie de la population française (là étaient sacrés les rois de France) et monument de l’art gothique, fut bombardé à partir du 14 septembre par l’armée allemande qui avait été obligé d’évacuer la ville après la victoire française sur la Marne.

On ne sait ni quand, ni de quel côté les bombardements commencèrent. On combattait dès le 13 septembre tout près de Reims et les premiers tirs sur la ville eurent lieu le 14. Le commandement français fit porter très peu de temps après les blessés allemands dans la cathédrale. Ils devaient, comme l’écrit l’illustration, servir de bouclier contre un bombardement. »

Cela n’arrêta rien. Des destructions abîmèrent donc l’édifice, sans toutefois le détruire comme l’indiquèrent les journaux de l’époque. L’écho fut considérable et dépassa largement le cadre français. L’opinion britannique et américaine prit fait et cause pour la France. On parla de cet incendie jusqu’en Amérique latine. On peut dire que l’Allemagne Wilhelmienne perdit alors la bataille de l’opinion, ce fut pire lors du torpillage du Lusitania l’année suivant… La réponse des intellectuels allemands fut très intéressante…

Les allemands refusent d’être des barbares

L’incendie de la cathédrale de Reims vient après celui de la bibliothèque de Louvain (où a disparu une toile de Rubens…). Autant dire que les allemands sont alors mis sous pression internationale. Or, les intellectuels, sauf quelques exceptions font bloc devant leurs homologues français. Un appel est signé outre-Rhin pour défendre l’action de la patrie allemande menacée (on ne répétera jamais assez que la population allemande croyait faire une guerre défensive en 1914). Quelqu’un d’aussi érudit que l’historien de l’art Paul Clemen défend avec ardeur l’action des troupes allemandes. Un argument souvent avancé, au-delà de hypocrisie française (les allemands rappelèrent ainsi les déprédations commises par les soldats de la Révolution) est qu’une vie allemande (plusieurs en l’occurrence) vaut plus qu’un monument.

De plus resurgit la querelle autour du gothique : la plupart des grandes cathédrales gothiques se trouvent en France alors que les historiens allemands de l’époque y voient une expression de leur génie national. On est loin aujourd’hui de ce genre de débat mais ils sont une illustration du gouffre qui sépare alors les belligérants, y compris sur le plan de la culture.

La mémoire de l’incendie

Elle est importante, grâce à la vulgarisation entreprise par les grands journaux de l’époque. Même des cartes sont imprimées montrant le supplice subie la cathédrale. Vingt ans seront nécessaires pour  reconstruire la cathédrale de Reims et, lors de l’invasion de 1940, la Wehrmacht prendra soin de ne pas y toucher. Symboliquement, l’édifice sera un des lieux qui actera la réconciliation entre les deux ennemis lors de la visite d’Adenauer en 1962.

Voici un ouvrage bien documenté qui souligne bien les enjeux historiographiques de cet événement largement ignoré aujourd’hui.

Sylvain Bonnet

Thomas W. Gaehtgens, La Cathédrale incendiée, traduit de l’allemand par Danièle Cohn, Gallimard « bibliothèque des histoires, octobre 2018, 336 pages, 29 eur

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