La Nouvelle Vague, une légende du cinéma français

Cinéphile, journaliste et historien

Antoine de Baecque a eu et a encore plusieurs vies. Les amateurs de cinéma pour ses biographies de François Truffaut (Gallimard, 1996), coécrite avec Serge Toubiana, et Jean-Luc Godard (Grasset, 2010). Les amateurs d’histoire le connaissent pour ses ouvrages traitant de la Révolution comme La Caricature révolutionnaire (CNRS, 1988). Enfin, il a été aussi rédacteur en chef des Cahiers du cinéma et a dirigé les pages cultures de Libération. La Nouvelle Vague-Portrait d’une jeunesse est une nouvelle version d’un ouvrage paru en 1998 et remanié en 2008, consacré à ce mouvement qui crut changer le cinéma français.

Irruption de la jeunesse

Initialement paru dans la collection Générations, cet essai d’Antoine de Baecque se propose tout d’abord de partir à la découverte d’une génération, de ceux qui ont vingt ans à la fin des années cinquante. Avec beaucoup de minutie, il fait leur portrait à partir des enquêtes parues dans des journaux comme L’Express. Le lectorat de l’époque découvre alors que les « adultes », même si cette notion est contestable, ne les comprennent pas. Le succès des livres de Sagan par exemple, typique de cette génération, montre des personnages qui s’ennuient et qui en même veulent être libres et surtout aimer, à un moment où la guerre d’Algérie monte à son paroxysme. Des jeunes enfin à qui le cinéma ne donne pas de représentation ou de place significative (au-delà des stéréotypes), du moins jusqu’à l’arrivée de Brigitte Bardot.

Les jeunes Turcs

Ah Bardot dans Et dieu créa la femme… Elle apparaît belle, nue, passe d’un homme à un homme avec un naturel qui frappe encore aujourd’hui même si le film ne vaut pas tripette. Sans le savoir, elle apporte de l’air frais à un cinéma français qui apparait (ce constat devrait être nuancé) conservateur, enkysté dans le système du vedettariat. Et contesté aussi par une bande de jeunes qui rêvent de le changer. Ils s’appellent Truffaut, Godard, Chabrol. Ils écrivent dans les Cahiers du cinéma ou dans Arts, vénèrent Howard Hawks et Hitchcock, les westerns et le film noir et ont le soutien de pas mal de gens de droite… Ce qui fait sourire quand on pense au parcours de Godard (passer de l’Algérie française au maoïsme, faut oser !).

Gloires et déboires

On sera d’accord avec l’auteur pour dire que les premiers films de la Nouvelle Vague, d’A bout de souffle aux 400 coups, du Beau Serge à Hiroshima mon amour, permettent à toute une génération d’acteurs et d’actrices d’accéder aux premiers rôles : la jeunesse de l’époque se reconnaîtra en Jean-Paul Belmondo ou Gérard Blain, Bernadette Lafont ou Anna Karina. Pour le reste, si le cinéma français « installé » ou « institutionnel » tremble, il n’est pas abattu : Duvivier, Autant-Lara et Delannoy continuent à tourner, idem pour la bande à Michel Audiard. Et la Nouvelle Vague va vite connaître des échecs. Quant aux tournages en extérieurs, caméra au poing, ce sont des choix qui relèvent autant de la nécessité (des coûts plus bas) que de l’esthétique.

Quant à l’auteur le plus éminent, Truffaut, il tournera ses meilleurs films après, bien après le temps de la nouvelle vague. On se doit enfin de remarquer que ce mouvement a réussi le tour de force d’écrire et d’imposer sa légende, y compris à l’étranger. Antoine de Baecque note avec justesse à quel point elle a influencé des cinéastes comme Bertolucci ou Scorsese, jusqu’à Tarantino (le nom de sa société de production, Band apart, est un hommage au film de Godard, Bande à part). Il y a eu aussi une génération de cinéastes qui a su profiter de la nouvelle vague pour tourner ses premiers films sans faire partie du mouvement : pensons à Claude Sautet, à Philippe de Broca, à Jean-Paul Rappeneau, à Pialat aussi bien sûr.

Voici en tout cas un essai stimulant pourtant, érudit et qu’on termine avec beaucoup de nostalgie : le cinéma français valait encore quelque chose à l’époque alors qu’aujourd’hui…

Sylvain Bonnet

Antoine de Baecque, La Nouvelle Vague, Portrait d’une jeunesse, Flammarion « champs », mai 2019, pages, 9 eur

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