Manu Larcenet adapte magnifiquement La Route
Quelle immense gageure que de donner vie, plus qu’adapter (1), le roman culte de Cormac McCarthy, La Route, prix Pulitzer 2007. C’est ce que vient de réussir brillamment Manu Larcenet. On connait l’immense talent depuis Blast, et voilà qu’il signe un album qui marquera.
Souffrance, inquiétude et survie
Si on allait mourir tu me le dirais ? Papa ? Je ne sais pas.
La guerre a sonné depuis longtemps la fin du monde civilisé. Sur ce qui reste des terres brumeuses américaines, les villes sont désertées, pillées, déshumanisées. Les campagnes sont toutes aussi menaçantes. Dans ce décor d’apocalypse, un père guide son fils vers l’inconnu, entre résignation et espoir. Tout est danger sur la route qu’ils suivent. La route, la voie le plus pratique pour pousser le chariot qui contient toute leur vie. Le peu de nourriture qu’ils exhument de leurs recherches, des vêtements, médicaments et de maigres et si importants souvenirs de leur vie d’avant.
Ils avancent. Et le défi de chaque jour est multiple. Se cacher de tous car il n’y a plus de règles dans ce bas monde. L’autre est de trouver des miettes, des conserves hors d’âge pour espérer subsister. Mais le père a du mal à cacher la maladie qui le ronge, il veut à tout prix accompagner son fils jusqu’au bout. Mais quel sera le terme de cette fuite ?
Terrifiant de réalisme
Le graphisme est brut, et d’une perfection rarement égalée. Nous sommes à la fois sur les traces des gravures de Gustave Doré et une ambiance très palpable tel que Cromwell le montre dans son adaptation du roman de James Fenimore Cooper, Le Dernier des Mohicans. On ressent la dangerosité à chaque page, à chaque case. Les dialogues sont minimalistes, presque superflus. Tout pèse. Tout écrase.
L’usage de la monochromie apporte son lot de souffrance et d’inquiétude dans notre esprit qui vagabonde dans les détails du dessin des villes décharnées, des corps et squelettes abandonnés. On se cache presque devant l’immondice que certains humains font subir à leurs congénères pour les assouvir ou… les manger. La poussière habite ces cases magnifiques, épaississant l’air même.
La Route est un roman graphique dur, pesant, éprouvant et magnifique. Le 4e tirage est déjà épuisé, c’est un succès mérité qui vient récompenser une année et demi d’un travail acharné. Larcenet, au sommet de son art.
Xavier de La Verrie
Manu Larcenet, La Route, adapté du roman de Cormac McCarthy, Dargaud, mars 2024, 160 pages, 28,50 euros
(1) Le film de John Hillcoat, sorti en 2009 avec Viggo Mortensen, s’éloigne du roman en bien des points et en propose une lecture pour le moins synthétique.