Le monde, tous droits réservés : les feux d’artifice de Claude Ecken

Un vieux routier de la science-fiction

On connaît Claude Ecken, qui a publié son premier roman en 1984 depuis longtemps. On lui doit de nombreux ouvrages dont un écrit en collaboration avec Roland Lehoucq, Mission Caladan. Les éditions du Bélial ont décidé de rééditer Le monde, tous droits réservés, qui avait remporté le grand prix de l’imaginaire en 2006. Parfois comparé à l’australien Greg Egan, Ecken est en tout un auteur parfois dérangeant.

Des histoires ancrées dans la science-fiction

Notre auteur connait très bien les codes de notre genre favori. Avec Edgar Lomb, une rétrospective, on lit l’histoire d’un homme qui utilise un translateur de conscience pour se transporter sur d’autres planètes, une autre façon d’envisager l’exploration. Ou la fuite ? dans Esprit d’équipe, le biogénéticien Léon Spartezar affronte son clone. Dans Les Déracinés, des humains qui se sont génétiquement modifiés et ressemblent plus à une forme de vie végétale sont assiégés par la police et refusent de se rendre. Etrange et en même temps significatif aussi de la sympathie qu’Ecken accorde aux inadaptés et aux révoltés comme le montrait certaines nouvelles du recueil Au réveil il était midi (L’Atalante, 2012). On retrouve cette veine avec Eclats lumineux du disque d’accrétion : dans une Europe où les désœuvrés sont enfermés dans des cités. Les politiques réclament des mesures pour les former au travail, les rendre utiles. Mais ils se révoltent.

Dérapages en tout genre

« Je n’ai jamais considéré le journalisme comme susceptible de devenir à son tour un sujet d’actualité. Mais si des gens vendent aux agences des parcelles de leur existence, pourquoi ne soumettrais-je pas au public ma brève expérience de journaliste ? »

Claude Ecken peint un monde qui dérape franchement. Dans Le monde, tous droits réservés, c’est le traitement de l’information et le copyright sont au cœur de cette histoire basée sur la confrontation entre deux journalistes, un jeune et un vieux resté idéaliste. Et c’est donc aussi une histoire d’initiation au monde alors que le Rhône subit une pollution sans précédent, provoqué sciemment par une boîte de chimie. Et Behr, le vieux journaliste, veut dévoiler tout le scandale. Il le paiera de sa vie. Le dérapage est aussi au cœur de Membres à part entière où un virus a réduit la majeure partie de l’humanité à la paraplégie. Seuls quelques-uns se tiennent encore debout, les Tiges. Pour garder sa femme et avoir une bonne carrière, Legrand provoque un accident pour se déplacer lui aussi en chaise roulante. Mais sa femme se met à le tromper… ça finira mal. Dans L’Unique, Ecken peint un monde où la procréation naturelle a été remplacée. Les génotypes sont contrôlés par l’Etat et les ADN ont été modifiés… sauf qu’une femme persuade un généticien de lui faire un enfant naturellement, Lucien. Ce dernier inflige un procès à ses parents car il est inadapté à la société…

Des nouvelles à part

Claude Ecken sait aussi aller ailleurs. Par exemple dans Fantômes d’univers défunts : une bande de potes branché astrophysique discute de mécanique quantique quand l’un d’entre eux comprend qu’il y a parmi eux un homme issu d’un autre univers. En fait, lui et les siens créent des copies de l’univers (un multivers naît donc) et s’en vont dès que leur univers de résidence commence à s’effondrer à cause d’une guerre nucléaire, d’un météore, d’un virus… cela rappelle Isolation d’Egan. Dans La dernière mort d’Alex Wiejack, on découvre un monde où la mort a été bannie et si, d’aventure, une personne se suicide, on la ressuscite pour mieux la condamner à des travaux pénibles, comme assurer la maintenance d’une centrale nucléaire. C’est le destin d’Alex Wiejack et la peinture d’une dictature de la vie assez effrayante. Avec La fin du Big Bang on fait connaissance avec Damien, un humain qui a conscience de plusieurs trames temporelles. Il croit être le seul à en avoir conscience jusqu’à sa rencontre avec une bibliothécaire. Et c’est peut-être le Big Bang qui recommencerait donc sans arrêt, modifiant l’espace-temps, les gens meurent et revivent. Et les deux se mettent à… écrire des livres. Vertigineux, un peu à la manière d’Egan.

Terminons ce tour d’horizon avec En sa tour, Annabelle où un homme évoque sa sœur, folle et disant des phrases incohérentes… et en même belles, poétiques, profondes même. Elle est juste différente et c’est bouleversant.

On ne peut que vous recommander ce recueil, bonne porte d’entrée vers une œuvre plutôt foisonnante.

Sylvain Bonnet

Claude Ecken, Le monde, tous droits réservés, Le Bélial, préface de Roland C. Wagner, illustration de couverture de Pascal Blanché, mars 2024, 384 pages, 19,90 euros

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