Panorama de Lilia Hassaine : Enquête criminelle dans une société panoptique
Le réel rattrape parfois les pires cauchemars de l’imaginaire, ce qui n’est pas encore tout à fait le cas avec la France décrite dans le roman Panorama de Lilia Hassaine. Le récit déploie les virtualités de la transparence au sens le plus strict du terme, puisque les murs de tous les domiciles sont remplacés par des vitres. Ce texte, qui a obtenu le prix Renaudot des Lycéens en 2023 peut être une bonne entrée en matière philosophique, ce que signale ironiquement le nom de deux quartiers de la ville, Paxton « quartier de blancs friqués » qui vivent entre eux, et Bentham, plus modeste où les maisons se ressemblent toutes ».

En effet, Bentham est ce philosophe utilitariste du XVIIIe qui, dans le souci de renouveler le sens et l’efficacité de l’enfermement carcéral, imagina une architecture circulaire dotée d’une tour centrale, permettant une surveillance visuelle constante des gardiens, eux-mêmes possiblement surveillés par tout individu extérieur à l’établissement. Quant à Paxton, il est l’historien américain qui, en 1972 démontra – certes, sans nuances – dans La France de vichy la participation active du gouvernement français à la politique de collaboration avec l’Allemagne, ce qui allait contre l’idée d’un double-jeu de Pétain et Laval.
Les dessous de la transparence
Les faits sont censés se situer en 2050, soit 20 ans après une « Revenge Week » où chacun put se venger sans poursuite judicaire pour des crimes non élucidés par la justice. La Nouvelle constitution a entériné une décision collective de rendre possible la surveillance de tous par tous, tandis que le site de l’agence de la Transparence met à disposition toutes sortes d’informations sur les individus et les entreprises.
« La nuit les lumières rouges éclairent l’intérieur des maisons. La journée, on compte sur la vigilance des voisins. A force de jauger qui a la plus jolie lampe sur pied, le canapé le plus cosy, le frigidaire le plus design, nous finissons par acheter les mêmes meubles. A force de nous comparer et de nous jalouser, nous finissons par nous imiter ».
Mais la disparition d’une famille pimente le quotidien de la narratrice, qui en qualité de policière devenue « gardienne de protection », va se donner pour mission de dévoiler, si l’on peut dire, les dessous de la transparence.
Le récit comporte deux parties ; dans la première, les quartiers qui ont adopté la nouvelle Constitution voient le mal et les coupables venir des Grillons, dite zone de non-droit.
« La nouvelle démocratie française n’est pas une dictature : vous êtes libre de vivre en sécurité dans les quartiers transparents, ou d’habiter dans des zones de non-droit en marge des villes ».
Une enquête haletante
Mais l’enquêtrice et son collègue Nico échouent à faire reconnaître par leur supérieur Luc Boiron l’identité des vrais coupables, elle-même perd son emploi et ce n’est qu’à la faveur de la découverte de corps qu’elle pourra reprendre l’enquête dans une seconde parte et faire éclater la justice.
Le roman permet de montrer les différentes apories du fantasme de la transparence à travers des personnages aux comportements compulsifs: un architecte hanté par l’idée de pureté , une femme qui vit continuellement dans la représentation publicitaire, un enfant qui collectionne les lacets, deux sœurs qui échangent leurs identités, autant de signes que la transparence matérielle ne résout en rien les blessures et le vide intérieurs et s’accompagne au contraire d’une emprise sur les corps et les esprits..
« Tout paradis a son antidote, me souffle Lou. J’en ai croisé, des mecs de Paxton. Ils enterrent leur vie de garçon dans les maisons closes, viennent se défoncer le temps d’une soirée et repartent condamner la drogue et la prostitution dans leurs cubes de verres. »
Cette manière de fable n’en n’est pas moins un tableau réaliste des relations familiales et amoureuses. La narratrice a en effet une fille adolescente, Tessa, aux prises avec les contradictions du système et des réseaux sociaux ; elle-même connaît la lassitude de la vie de couple. Mais là encore, le désir a peut-être besoin du secret et de la distance pour renaître.
Ce roman d’anticipation thématise des questions sociétales actuelles : la liberté individuelle, la justice des mineurs, la vidéosurveillance, l’usage des réseaux sociaux. Il peut donc être mis entre toutes les mains à partir de l’adolescence.
Florence Ouvrard
Lilia Hassaine, Panorama, Gallimard folio, février 2025, 252 pages, 8,50 euros