Les aveuglés, Paris et Berlin dans la main de Moscou

Voici la réédition d’un essai de la journaliste du Monde Sylvie Kauffmann sorti chez Stock en 2023 et consacré aux vingt dernières années de la relation Paris-Berlin-Moscou, qui ont amené France et Allemagne à nourrir bien des illusions sur la Russie de Vladimir Poutine et sa politique étrangère.

Illusions perdues

Car il s’agit bien d’illusions ? nourries de part et d’autre du Rhin, quant aux buts de politique étrangère de Poutine. Pour Berlin, il s’agit avant tout de garantir l’approvisionnement de son industrie en gaz, tout en nourrissant l’espoir que le doux commerce finirait par modérer Moscou. Sans compter l’héritage de l’Ostpolitik de la RFA dont les dirigeant allemands estimaient qu’elle avait réussi à affaiblir l’URSS. Du côté de Paris, c’est plus une reprise paresseuse de la diplomatie gaullienne : ne pas humilier Poutine et la Russie, traiter de puissance à puissance pour ménager un équilibre des forces, surtout vis-à-vis d’un allié américain jugé bien encombrant. On peut dire que c’est Jacques Chirac qui est allé le plus loin en obtenant le soutien de Poutine contre la guerre en Irak, à un moment où ce dernier n’a pas encore levé le voile… Mais quid de la suite ?

Et longtemps ils ne voulurent rien voir

Les occidentaux n’ont pas voulu voir le danger, au contraire des anciens pays de l’est, plus lucides en raison de leur histoire récente (français et allemands se moquaient d’ailleurs volontiers de leur paranoïa). Pourtant les avertissements, si on peut dire, n’ont pas manqué : invasion de la Géorgie en 2008, annexion de la Crimée puis début de la guerre du Donbass en 2014, sans compter l’affaire Skripal ou les tentatives de déstabilisation lors du Brexit ou de la campagne présidentielle américaine de 2016. Sylvie Kauffmann montre bien combien des hommes politiques de premier plan ont été « séduits » par Poutine : songeons à Schröder et Fillon. Paris et Berlin pensaient avoir trop à perdre à une rupture, jusqu’à être mis au pied du mur en février 2022. L’aveuglement a-t-il pris fin pour autant ?

De quoi réfléchir.

Sylvain Bonnet

Sylvie Kauffmann, Les aveuglés, Gallimard, octobre 2024, 400 pages, 9,90 euros

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