La dictature des identités, dérives de l’antiracisme

Universitaire et pamphlétaire

Vivant aux Etats-Unis et enseignant à l’université Cornell dans l’Etat de New York depuis une vingtaine d’années, Laurent Dubreuil donne des cours de philosophie. On lui doit différents ouvrages comme l’Empire du langage (Herman, 2008), Le Refus de la politique (Herman, 2012), Pures fictions (Gallimard, 2013) et Génération romantique (Gallimard, 2013). Avec La Dictature des identités, il livre un essai volontairement polémique sur la quête identitaire contemporaine et ses conséquences.

Une pensée venue des États-Unis

Dubreuil décrit une mode intellectuelle venue d’Amérique, les identity politics, née dans les années 70. Il s’agissait au début de minorités, des femmes d’affirmer ce qu’ils ou elles estimaient leur identité face à une majorité dite « blanche » et dominante. Parallèlement le « Politiquement correct » s’est  imposé et dans les années 2000, l’alliance des deux pensées a changé les campus américains.

Désormais on met en exergue le trauma comme base d’une identité « victimaire ». Il s’y développe aussi des espaces « protégés » (des safe spaces) où des membres d’une même minorité peuvent se retrouver après avoir été victime d’agressions. Sans compter les ateliers de non-mixité…

Cela peut-il durer ?

Dubreuil relie ces phénomènes aux derniers développements du capitalisme numérique où des algorithmes calcule nos profils de consommateurs pour mieux nous appâter. Ils cherchent donc à nous rattacher à une identité, quel qu’elle soit. S’agit-il d’un vent de l’histoire qui nous emmène loin, très loin ? On a vu récemment une représentation des suppliantes d’Eschyle être bloquée par des militants noirs, à cause d’une représentation des suppliantes qu’ils jugeait « raciste » en les comparant aux « blakface » des années 1920 aux États-Unis ; on a aussi vu l’exposition sur Toutankhamon être menacée d’annulation…

Là où Dubreuil se révèle très pertinent c’est dans sa conclusion : tout ramener à l’identité de manière absolue est-il le meilleur moyen de lutter contre les discriminations ? Mais une autre question nous taraude : est-il possible de revenir en arrière ?

Voici un essai décapant et très actuel !

Sylvain Bonnet

Laurent Dubreuil, La Dictature des identités, Gallimard « le débat, mars 2019,128 pages, 14,50 eur

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