Rêves de machines, de la sensibilité robotique

Un auteur et son livre

Rêves de machines de l’américaine Louisa Hall est déjà paru en 2017 en grand format chez Gallimard et il s’agit de son deuxième roman. Elle n’appartient pas a priori au petit monde de la science-fiction américaine et l’édition actuelle chez folio SF témoigne de la difficulté qu’ont certains éditeurs à « classer » dans une catégorie certains romans. Au fond, ce n’est pas si important. Seule compte une chose : ce livre vaut-il le coup d’être lu ?

Cinq personnages en quête de sens

Rêves de machines raconte l’histoire enchevêtrée de quatre personnages. Mary Bradford tout d’abord, en route pour l’Amérique en 1663 et que ses parents ont promis à un homme, Whittier, qui lui répugne. Bravant l’interdiction parentale, elle a emmené à bord l’être qu’elle aime le plus au monde, son chien Ralph. Il y a ensuite Alan Turing qui, blessé par la disparition de son ami Chris, entame une correspondance avec la mère de ce dernier où il détaille ses recherches et son ambition : créer un cerveau à l’image du cerveau humain.

A ces deux récits s’ajoute celui de Karl Dettman qui invente le premier logiciel de discussion baptisé MARY et qui écrit à sa femme Ruth des lettres émouvantes. Pourquoi MARY ? Parce que Ruth a édité le journal de Mary Bradford. Enfin, on découvre en 2035 la jeune Gaby en pleine phase pychotique parce qu’on lui a retiré son robot de compagnie, inventé par Stephen R. Chinn, qui, cinq ans plus tard, écrit ses mémoires en prison.

Humain, mode d’emploi

A quoi ressemble le monde, ce monde qui m’échappe ? Les étoiles continuent-elles à s’assembler en grappes dans les branches nues des arbres ? Mes petits robots sont-ils vraiment morts dans le désert ? Ou bien, comme il m’arrive de le rêver pendant ces nuits interminables, après l’extinction des feux, ont-ils réussi à s’enfuir et à reprendre des forces ? »

Voilà les premiers mots du livre, ceux de Stephen R. Chinn, créateur frustré de sa création qui a failli détruire une génération si on comprend la suite. Dans ce roman ambitieux, Louisa Hall cherche à répondre à une question simple : humain, ça veut dire quoi ? La question est là car Chinn réussit à doter ses robots de la sensibilité, lui qui ne réussit pas à exprimer ses émotions à ses proches, chose qu’on retrouve dans tout le roman : chez Alan Turing ou les époux Dettman, chez Mary Bradford et son futur époux. Que se passe-t-il si les robots deviennent plus sensibles que les hommes ? La fin du roman permet de relire tout ce qui précède avec un œil neuf. La chute est bien fichue.

Louisa Hall brasse donc l’intime et la prospective, c’est plutôt réussi. On conseillera cependant de lire le roman d’une traite, ou du moins de ne rien lire d’autre en même temps, pour bien comprendre l’intrigue et s’imprégner des thèmes abordés.

Sylvain Bonnet

Louisa Hall, Rêves de machines, traduit de l’anglais par Hélène Papot, Gallimard, « folio SF », janvier 2019, 432 pages, 8,40 eur

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