Marcher jusqu’au soir de Lydie Salvayre
Ecrivain fécond qui s’est fait connaitre, notamment, avec le prix Goncourt attribué en 2014 à son roman Pas pleurer (Le Seuil), Lydie Salvayre a tenté une aventure, proposée aussi à d’autres auteurs, qui consiste à passer une nuit dans un grand musée, dans la seule compagnie des œuvres exposées. Après bien des refus, et des hésitations, elle accepte, et la voilà enfermée dans le Musée Picasso, à Paris, avec un lit de camp, un thermos, et la ronde discrète des gardiens de nuit. Elle avait heureusement emporté un bloc notes et un stylo, ce qui nous vaut le plaisir de lire Marcher jusqu’au soir.
Ce titre est une phrase empruntée à un poème de Baudelaire, souvent cité dans l’ouvrage. Mais ce n’est pas lui le héros principal du livre, c’est le sculpteur Giacometti, dont elle découvre cette nuit-là la statue bien connue de l’ « Homme qui marche », personnage qui la fascine, et qui est exposé en même temps que les tableaux de Picasso. De ceux-là, elle ne parle pas, car elle déteste ce macho de Picasso, et voit dans la grande enjambée du petit homme qui marche une allégorie foudroyante.
L’homme qui marche est construit en plusieurs parties, qui changent de ton selon le thème traité. L’une d’elles est consacrée à Lydie Salvayre elle-même qui se découvre, et « s’introspecte » un peu le temps d’une nuit solitaire. Elle rappelle que toute jeune, au cours d’un de ces dîners parisiens qu’elle exècre, une pécore avait, en parlant d’elle, trouvé qu’elle « avait l’air bien modeste ». « Cette phrase se planta dans la chair de mon orgueil, et y resta longtemps, écharde empoisonnée », écrit-elle dans un élan de sincérité. Et de confier aussi les souffrances d’une enfance cabossée, d’un père communiste détesté, d’un cancer récent, et d’autres misères qu’elle a combattues, et dont ses livres – éclairés par ses aveux–permettent assurément de les avoir, pour partie, vaincues.
Pour Giacometti, donc, gros élan de tendresse, car cet homme qui marche a l’air lui aussi bien modeste. Marche-t-il vers la mort, comme tout le monde ? Arrivera-t-il à décoller du sol ces énormes chaussures qui collent à la terre ? Faut-il croire avec Camus que « les hommes meurent et ne sont pas heureux » ? Une belle réflexion sur l’art s’en suit, sa place dans la vie, sa fonction sociale, son utilité s’il en a une, qui se conclue joliment par la certitude que « l’art ne valait sans doute rien, mais rien ne valait l’art ».
Chemin faisant, Lydie Salvayre nous gratifie de quelques imparfaits du subjonctif qui auraient enchanté Marguerite Yourcenar, et dont on peut supposer qu’elle se régale en secret, sous couvert de respecter Vaugelas. C’est dire que ce petit bouquin est un livre très personnel, qui nous en apprend beaucoup sur Giacometti… et sur Lydie Salvayre, avec qui on peut avec plaisir marcher jusqu’au soir…
Didier Ters
Lydie Salvayre, Marcher jusqu’au soir, Stock, « Ma nuit au musée », 18 euros, 210 pages, sortie avril 2019