Last but not least : Coup de chance, le dernier film de Woody Allen

Alors même qu’aucune nouvelle pièce n’a été versée à son dossier depuis trois décennies, Woody Allen s’est récemment retrouvé em#MeToo-flé de telle manière qu’il n’est pas impossible que son dernier film, Coup de chance, qui vient d’être édité en Blu-ray chez Metropolitan Filmexport, soit son dernier dans tous les sens du terme. Il est d’ailleurs passé pratiquement inaperçu quand il est sorti dans les salles. Mais ce n’est qu’injustice, car c’est probablement l’un des meilleurs films qu’il ait tournés depuis longtemps et si c’est, pour employer un adjectif à la mode, une œuvre à maints égards testamentaire, la frontière entre tragédie et comédie y est on ne peut plus mince, la mort n’étant pas forcément une fin.

L’histoire tient en deux lignes et est a priori celle d’un film noir. Le mari, la femme, l’amant. Mais, contrairement au schéma propre au genre, ce ne sont pas ici la femme et l’amant qui se débarrassent du mari, c’est le mari qui, découvrant l’infidélité de sa femme, fait purement et simplement disparaître l’amant. Ce n’est, à vrai dire, pas la première fois qu’il recourt à ce genre d’expédient pour régler une situation qui lui déplaît : sous ses allures d’homme d’affaires, c’est en réalité un mafieux de la pire espèce. The end ? Non, au contraire, c’est maintenant que l’enquête commence. Mais quelle enquête, direz-vous ? Tout a été vidé, nettoyé, effacé dans l’appartement de l’amant. Aucune preuve, aucun indice permettant de déduire que derrière cette disparition se dissimule un crime. Après tout, il existe des gens qui, de leur plein gré, décident un jour de s’évanouir dans la nature… Non, vraiment, aucun indice, à ceci près que l’amant était poète – c’est d’ailleurs par sa poésie qu’il avait séduit la femme – et que, comme dirait Charles Trénet, longtemps, longtemps après que les poètes ont disparu, leurs chansons courent encore dans les rues. Nous n’en dirons pas plus.

Ajoutons cependant que ce qui rend ce Coup de chance discrètement émouvant, c’est le changement de point de vue qu’il implique chez Woody Allen. Celui-ci avait déclaré dans des interviews qu’il se moquait éperdument de savoir si ses œuvres lui survivraient et lui assureraient une gloire posthume, puisqu’il ne serait plus là pour voir — plus là pour profiter de ce succès. Ce n’est pas ce que semble dire ce dernier film, bien moins désespéré que pouvaient l’être, par exemple, Blue Jasmine ou Wonder Wheel. Et le fait qu’il soit tourné en français peut être vu comme l’affirmation d’un nouveau départ. Ce choix a sans doute été largement déterminé par des contraintes de production, mais la filmographie de Woody Allen inclut au moins deux titres prouvant qu’on peut tourner à Paris avec des acteurs ne parlant qu’anglais d’un bout à l’autre –  et cette VF-VO n’est pas sans rappeler le Tu quoque, mi fili de César. Car César n’a jamais dit Tu quoque, mi fili. Il a dit  Kai su, teknon, autrement dit « Toi aussi, mon fils », mais en grec (ce qui, soit dit en passant, dispense de toutes les spéculations oiseuses sur l’identité du fils en question, teknon signifiant simplement en grec « mon garçon »). Manière de dire en quelques mots à ses assassins que c’était lui, de son plein gré, qui les quittait pour rejoindre un autre monde, plus humain.

Puisque nous parlons ici de dialogues, signalons que 2023 a également vu la publication chez Stock d’un recueil de nouvelles de Woody Allen sous le titre Zéro Gravité. L’ensemble est extrêmement inégal et certains textes qui se voudraient drôles ne sont qu’un fatras d’images incohérentes. Mais quand Woody est drôle, il l’est vraiment, au moins pour deux raisons. La première, c’est que, comme dirait Bergson, il ne déforme pas la réalité — il la prolonge. Ainsi, quand, au détour d’une phrase, il signale que Meryl Streep est tentée de répondre positivement à un producteur qui lui propose d’interpréter le rôle de Yasser Arafat, quelque chose nous dit qu’un pareil « challenge » ne serait pas pour déplaire à la comédienne. La seconde raison, c’est que, dans l’immense majorité des cas, Woody Allen, faisant du héros de chaque nouvelle un loser binoclard, se moque ouvertement de lui-même, ce qui nous change agréablement de tous ces amuseurs made in YouTube qui ne soulèvent les rires de l’auditoire qu’en raillant et en humiliant un malheureux spectateur.

FAL

Coup de chance, réalisé par Woody Allen, avec Lou de Laâge, Valérie Lemercier, Melvil Poupaud, Niels Schneider, Grégory Gadebois. Couleur, 1h33. Metropolitan Filmexport.

Woody Allen, Zéro Gravité. Traduit de l’anglais par Nicolas Richard. Stock, 22 euros

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