Les sœurs Jacob, une histoire qui émeut
Un auteur à suivre
J’ai déjà chroniqué, de David Teboul, Les filles de Birkenau en janvier dernier, voilà que cet auteur réapparait dans une BD adaptée de son roman Simone et ses sœurs par l’écrivaine Marie Desplechin et le dessinateur Fred Bernard.
Les sœurs Jacob sont trois, par ordre de naissance : Milou, qui mourut d’un banal accident de voiture après avoir traversé les tribulations de la guerre et des camps, Denise, la guerrière, héroïne de la résistance, et Simone, bien connue plus tard sous le nom de Simone Veil.
Du paradis à l’enfer

Toutes trois connaissent une enfance radieuse à Nice, la misère avec le régime de Vichy, puis les camps d’extermination où meurent père et mère. On n’évoque pas souvent, comme dans ce livre, le retour des camps à la vie dite normale : les retrouvailles des survivants sont émouvantes, l’accueil qui leur est réservé est pour le moins… réservé… On leur demande comment elles ont pour faire pour survivre, n’est-ce pas bizarre ? On leur demande combien de fois elles ont été violées, on se détourne à la vue de leurs « tatouages » – quand ce n’est pas l’indifférence totale. Comment retrouver le goût de vivre dans ce contexte ? L’oncle et la tante qui les recueillent n’y parviennent pas, Denise cède à la frénésie des plaisirs…
Milou et Simone réussirent à rester ensemble avec leur mère à Auschwitz, Birkenau, Bergen-Belsen… Elles assistèrent à son agonie. Peut-être doivent-elles leur survie à la cheffe du camp, Stenia, une polonaise, qui déclare à Milou, :
« Tu es trop jolie pour mourir ici. Je vais te trouver un endroit où tu puisses survivre ».
Les deux sœurs n’ont jamais su à quoi elles devaient cet éclat d’humanité.
On peut saluer le caractère trempé de ces filles d’exception, comme l’ont fait certains critiques. Mais se contenter de saluer leur « résilience », n’est-ce pas une façon d’oublier, c’est-à-dire de dénier subtilement leurs épreuves ? C’est-à-dire de se comporter peu ou prou comme les français « de souche » à leur retour des camps…
Ce livre est avant tout une leçon d’histoire qui touche notre sensibilité. Décrire le parcours intime de « personnages réels » nous fait éprouver dans leur chair ce qu’ils ont pu vivre dans les camps. Tel est le privilège de toute littérature, écrite ou dessinée. Cette BD devrait être mise entre les mains de tous nos adolescents, elle surpasse un enseignement scolaire qui ne peut que rester abstrait.
Mathias Lair
Marie Desplechin & Fred Bernard, Les sœurs Jacob, Les Arènes BD, septembre 2025, 220 pages, 30 euros