Apôtres d’opérette de Maximilien Friche

Nul titre n’aurait mieux convenu à cette fantaisie grave où un jeune vieil enfant de notre siècle, de misères et de bassesses comme il s’en vit rarement, tente de narrer l’aporie révolutionnaire : fermer, in spem et contra spem, le ban des illusions.

À celui qui s’insurge contre le malheur d’être né en une semblable époque, la bienséance exige qu’il conserve grande cargaison d’humour, de quoi à satiété noyer fiel et chagrin sous le sel et l’écume de l’autodérision :

Nous, écrivains de combat, notre ambition est très modeste, nous écrivons pour la gloire de Dieu et le salut du monde.

Mauvais temps…

Temps des imprécateurs et des prophètes suspendus quand du loup à l’agneau un pays, un continent, une planète se savent condamnés. Surgit alors pour les meilleurs le temps du rire salvateur, tôt suivi par la résignation héroïque dont Anton Tchekhov a pour jamais à la fin d’Oncle Vania fixé le modèle : vivre une longue suite de jours… étales et sans gloire, au service inutile de la congruence d’être né, voués. Pas très ambitieux, encore moins exaltant et pourtant tellement plus difficile que d’être un kamikaze ou de tuer Alexandre ce soir…

On a beau se rêver héros ou saint, l’Histoire et sa grande hache, leurs cortèges de ludions, toujours, auront le dernier mot. Guerres civiles… européennes, mondiales, l’auteur résiste et il fait bien, à terminer son roman par ce trop commun et si sûrement attendu récit. Mieux vaut laisser au cinéma à Mad Max et aux autres le soin de rêver la dernière épopée.  La tragédie viendra bien assez tôt, Friche consent à laisser place au roman.

La vie, rien d’autre, chemin vers une unique issue sans changement véritable ni carrefour décisif, être vivant ou mort, pas d’alternative. Cela a un beau nom Maximilien Friche, ça s’appelle le service inutile, vertu évangélique et frein nécessaire à tout orgueil humain. Jour après jour, pas après pas, brasse après brasse, couler doucement remonter couler à nouveau jusqu’à l’heure du Jugement.

Autofiction et littérature du moment

En choisissant l’autofiction distanciée, la mise en abyme de sa propre existence, Maximilien Friche fait mouche à tous les coups, excepté quand il s’aventure encore sur les traces de maître Dantec qui, à la théologie fut ce que Frédéric Le Noir est à la philosophie, non pas un “vulgarisateur” mais selon le joli mot de Rémi Brague évoquant cette dérive le dispensateur d’un “vulgaire” avatar de la discipline prétendue.  

Le lecteur se voit convié à approcher un commando qui porte le nom de sa propre revue “Mauvaise nouvelle” dirigé par un certain Étienne Dupuis, qui pour pseudo, a élu le nom de l’auteur du roman :

Etienne écrit avec le bic de la cuisine : Maximilien Friche, né le 8 décembre 1975 à Rouen, auteur français. Ça semble coller. Il regarde la feuille comme on envisage son profil dans un miroir après avoir enfilé un nouveau vêtement. Maximilien, ça fait aristo, bien élevé, supérieur, distingué. FRiche c’est comme une déchirure sur le personnage, un mépris de soi au bout du prénom, une salissure, un péché sur la créature.

Il est marié et père de famille, son épouse Bénédicte, une sainte femme, élève leurs six enfants, tandis que bon apôtre, notre valeureux use ses nuits à flirter en intention avec la camarade Manon ou à reconstruire sur son clavier le monde selon des harmoniques que Mozart ou Bach n’eurent pas dédaignées…. Brandir des manifestes, composer des poèmes, mener des actions plus d’agitation que de propagande ou se faire sauter, seul ou en compagnie de sa grand-mère, dans une farouche volonté de témoigner du désastre, voilà tout le récit, la carte d’un itinéraire où toute sente ou route s’avèrera chemin qui ne mène nulle part, surtout pas au changement de cap….

Chrétien, Friche répugne à faire l’éloge de la mort-manifeste, le suicide est péché contre le créateur. Seule, la nécessité de ne pas dénoncer ses camarades justifie la mort volontaire dans les locaux du Guépéou ou de la Gestapo, le reste est spectacle et seulement spectacle qui, à rebours de toute volonté des conjurés, authentifierait le simulacre. Il faut se soumettre, ce qu’en un de ses rares instants de lucidité avait solfié le roi Soleil après avoir contemplé, impuissant, périr un à un ses fils et petit-fils.  

Pourtant, jour après jour, nuit après nuit, Friche publiera des textes, des poèmes aussi, quoiqu’il ait enfin admis son incapacité à changer le réel —  gardien de phare dans la tempête —, à l’heure où dorment les honnêtes gens et s’agitent les méchants, en haut, tout en haut de sa tour d’ivoire, se contente-il de diriger la lumière vers les rares endroits qui permettent au nom d’homme d’exister encore. Pour cela le romancier s’est fait rédacteur et éditeur. Il y a pire emploi dans la comédie de la vie !  Prétendant annoncer la « mauvaise nouvelle » ; légitimer la « nouvelle marge », ces choix parfois le mènent vers des classiques de demain, « classiques de la subversion »   ou simplement « classiques », d’être encore composés en langue de culture et non dans le sabir ordinaire des communicants élevé au haut rang de langue littéraire. 

Une plume d’aujourd’hui

Bienvenue au club des renonçants héroïques, des loosers magnifiques ou glorieux bohémiens à vous,  Maximilien Friche et à vos personnages tellement émouvants et justes, là où vous êtes un romancier : bienvenue à   Marcienne,  la poétesse ;  Kateri,  la branchée, Manon,  la tentation ; Paul, le peintre qui,  à la pornographie généralisée,  oppose l’art sacré ; Jacques-Léonor,  l’occitan bon disciple des rares poètes si cher à Ezra Pund ;  Cyprien le flic, qui désormais reposent aux côtés de Bernard Rosenthal ; de Philippe Laforgue ; d’Antoine Bloyé, d’André Simon et de Pluvinage, héros d’une autre Conspiration… signée Paul Nizan, roman parfait  demeuré en dépit des ignominieux brekekekex coax coax de  Crapaud Parte, livre culte d’avoir été vécu et revécu…  Poil au cul, par toutes les générations qui après lui vinrent et viendront. Ad libitum. Jusqu’à la fin des temps…

Abbaye, phalanstère, académie ou tribu, chaque homme dans la nuit cherche l’élan qui, restaurant son âme, restituera en majesté un fragment de l’âme du monde, comme jadis l’enfant ébloui un soir de Noël ou d’Hanoukka ne parvenait à détacher ses yeux de son premier kaléidoscope …  Cette impression fugace et totale que le chant d’un martin -pêcheur sous les étoiles ; l’éclat d’une luciole, un bref éclair de lune ou la corusquance d’une rose dans la plénitude de Midi procure au promeneur solitaire.

Où le roman d’une génération perdue restaure la génération.

Sarah Vajda

Maximilien Friche, Apôtres d’opérette, éditions Sans escale, décembre 2020, 244 pages, 13 euros

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