Fragilitas, la matière d’une époque

Historien du sensible et des sensibilités

Auteur de l’Histoire du silence (Albin Michel, 2016), de La fraîcheur de l’herbe (Fayard, 2018) ou encore de l’Histoire du repos (Plon, 2022), Alain Corbin a quasiment créé une discipline à lui seul avec ces essais courts, denses, parfois inspirés. Là où d’autres s’intéressent aux rapports sociaux, aux institutions, à la vie quotidienne des gens, à l’urbanisme, lui a choisi d’étudier les sensibilités (ce qui ne veut pas dire qu’il néglige les aspects précédemment cités). Fragilitas, paru chez Plon, s’intéresse à l’histoire d’une matière, le plâtre.

Le révélateur d’une époque

Le XIXe siècle est l’âge d’or du plâtre, pourquoi ? Facile à manier, bon marché, le plâtre sert à mouler, à bâtir, décorer. Il sert aussi pour toutes les restaurations de monuments, d’églises. Or la Restauration, la Monarchie de Juillet et le seconde Empire sont des moments décisifs pour ces entreprises. On veut préserver les monuments, les imiter, remplacer et le plâtre est idéal. Et combien de masques mortuaires de Napoléon, modelées sur l’original en plâtre, ont été vendus et diffusés dans la société ? Fragile, le plâtre est au fond à l’image de la société de l’époque.

Un monde fragile

Le XIXe siècle, c’est le moment des bouleversements et des révolutions pour la France. Deux monarques renversés sur les barricades, un coup d’état en 1851… Cela révèle la fragilité des choses. Au même moment, la France se prend de passion pour les choses d’antan : idéaliser le passé aide à supporter un présent déconcertant. Et le plâtre est à l’image de cette fragilité (d’où le titre, quel malin ce Corbin). Au fond, il estime que chaque étape de l’humanité s’est construite autour d’une matière. Le bronze a marqué l’antiquité, le plastique le XXe siècle. On se demande laquelle sera à l’image du XXIe siècle…

Fragilitas est un essai passionnant.

Sylvain Bonnet

Alain Corbin, Fragilitas, Plon, septembre 2023, 144 pages, 16 euros

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