Le Japon grec, histoire d’une fusion

Choisir l’étude du Japon

Avec Pierre-François Souyri, Michaël Lucken fait partie de ces historiens français qui ont choisi de consacrer leurs recherches au Japon, pays à la fois très proche par son développement économique qui en a fait la troisième puissance mondiale et lointain de par ses traditions religieuses et sa langue. De Lucken, on a déjà lu L’Archipel du sens (Perrin, 2016), véritable invitation à la découverte de ce pays, qui abordait déjà la notion de transferts culturels de la Grèce antique vers le Japon. Le Japon grec, au titre provocateur, revient sur cette idée, si dérangeante a priori.

Une étrange relation symbiotique

Pourquoi dérangeante ? La question est simple mais renvoie aussi à nos propres préjugés culturels. Voici un pays asiatique qui s’est approprié depuis deux siècles la philosophie grecque, l’art antique grec, les dieux grecs. On ne compte plus les mots grecs traduits ou adaptés en japonais. Michaël Lucken raconte comment ce transfert a eu lieu, d’abord grâce aux marchands néerlandais, puis sous l’ère Meïji grâce aux étudiants japonais envoyés en Europe (Grande-Bretagne et Allemagne principalement) revenus plein de cette influence grecque.

Ce transfert culturel se fait pour le meilleur et pour le pire : Platon et sa philosophie inspireront des penseurs très conservateurs proches des cercles militaristes ou d’autres plus pacifistes, par exemple. Et puis bien des intellectuels japonais vont verser dans des théories fumeuses, comme quoi les populations de l’île pourraient descendre d’ancêtres communs avec les grecs (si on remonte loin, oui), ce qui justifierait leur supériorité sur d’autres peuples d’Asie.

Pop culture japonaise

A travers ce livre se résout une énigme assez triviale (et finalement non pas tant que ça) : pourquoi autant de mangas, de dessins animés sont pleins de références antiques ? On ne compte plus chez Miyazaki le nombre de références à l’antiquité grecque (Nausicaa par exemple) mais l’auteur se rappelle avoir été enfant et avoir beaucoup regardé les chevaliers du zodiaque : si les auteurs de ce feuilleton s’inscrivaient autant dans la mythologie grecque, c’est aussi parce que la culture japonaise a assimilé ces références de longue date.

Au fond, que des créateurs s’en emparent pour livrer des œuvres populaires démontre à quel point (mais pas toujours) le métissage peut être fécond. Voici en tout cas une étude passionnante.

Sylvain Bonnet

Michaël Lucken, Le Japon grec – Culture et possession, Gallimard, « Bibliothèque des histoires », avril 2019, 256 pages, 22,50 eur

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