Les Cahiers de la BD n°6, Que dit la SF aujourd’hui ?

Le 6e numéro des Cahiers de la BD, spécial SF, fourmille de pépites

Bilal, BUG

Alors que vient de s’achever le 46e festival de la BD d’Angoulême, rien de tel que le must des revues BD pour alimenter notre appétit ! Et à Boojum, la BD on adore ! Rien moins que 194 pages, dont 32 de bandes dessinées, dans ce nouveau numéro de l’épatant trimestriel Les Cahiers de la BD. Devenue en 2 ans, la référence des revues sur le genre, c’est un plaisir de compulser ce trimestriel profus et savant. Au sommaire, tout pour assouvir les goûts des plus difficiles amateurs.

Un riche dossier Science-Fiction

D’abord un fort dossier SF : « Que dit la Science-Fiction aujourd’hui ? » On y retrouve un jeu de 3 questions/réponses à 5 auteurs. Bilal – auteur de la magnifique couverture issue de BUG -, Perriot, Aseyn, Bablet, Perrodeau. À la question 3 « que dit la SF aujourd’hui ? », la surprise est au rendez-vous. Mais derrière l’originalité de certaines réponses, la convergence entre un futur proche inquiétant (Bilal, Perriot ) va de paire avec l’espoir d’un futur plus juste.

Dans « vers l’infini et au-delà », Nicolas Tellop analyse les arcanes de la BD SF contemporaine. Dont un gros focus manga et anime. Il rappelle avec justesse la prégnance de l’influence du japon sur le virage dystopique des territoires explorés par les auteurs (1). Collapse et fin du monde. En mode terrain de jeu, où les graphzines ont aussi leurs mots à dire. À lire dans quand les graphzines s’attaquent à la SF : entre avant-gardisme et expérimentation, comme souvent sur ces supports.

Et Corben vint

Mais le plat de résistance, que l’on ne s’y trompe pas, est bien la monographie sur l’ÉNORME auteur américain, récompensé l’an dernier par le grand prix d’Angoulême : Richard Corben ! L’exposition phare qui lui est consacrée donner corps à l’imaginaire , révélatrice de ses leitmotivs…est à voir jusqu’au 10 mars ! À ne pas rater !

Son interview par Frédéric Poincelet est le fil rouge du dossier. On y retrouve un auteur ancré dans ses sources pulps. Dont la culture comics SF, Fantasy et horreur est assumée depuis toujours. Comme Stephen King, qui bénéficie aussi d’un entretien dans ce numéro, Corben poursuit, par le dessin, son rapport étroit à l’étrangeté et au bizarre. Et aux corps bien sûr. Transpire aussi sa curiosité permanente vers l’expérimentation technique. Cela donne à ses planches ce mix si particulier qui fera s’arracher les cheveux à ses éditeurs successifs !

L’analyse de sa fascination érotisée pour les corps, est aussi un tour de force du focus. Hypertrophies des hommes en guerriers, des femmes fortes sous tous les « angles » (hum), rien n’échappe à l’œil des chroniqueurs.

Cerise sur le gâteau, la réédition de l’horrifique histoire « in deep », huis clos marin digne du cinéma gore, mix improbable entre Jaws et Birds. Il rappellera aux aficionados, les meilleures bandes de Métal Hurlant, Creepy, ou Ére Comprimée !

la vidéo De Richard Corben, absent au salon, pour remercier ses fans et ses soutiens

D’autres pépites aussi

L’interview de Luz, après la sortie de « indélébiles » chez Futuropolis est aussi l’autre grand plaisir de la revue. Roman graphique d’apprentissage, il y dévoile cette force têtue et ténue à la fois, qui le meut toujours. Celle qui porte sa vocation. Non plus comme un combat de l’après 15 janvier 2015, de l’après Charlie, mais bien dans une volonté de dire cette présence immanente de l’engagement. De pouvoir montrer, par le dessin, les combats qui le portent. Et les amis qui l’habitent, ses rencontres inoubliables qui l’ont construit. En tant qu’homme. En tant qu’auteur (comme celle avec Cabu). Émouvant !

Luz, indélébiles, Futuropolis

Dans la partie Cahier Historique, le zoom sur Alain Saint-Ogan est à ne rater sous aucun prétexte pour tous les collectionneurs patentés ! On y retrouve les origines du dessin de presse, celui qui, dépassé l’irrévérence d’un humour timide, croqua vite, en une impertinence diaphane mais tolérée, les gros traits des abus de pouvoirs, les agaceries du quotidien. Tout un univers qui mènera, bon an mal an, jusqu’à Charlie Hebdo in fine.

Et un dernier plaisir pour la route

Manara, Larousse, 1977

Enfin, petit plaisir personnel, un grand merci à David Prudhomme, qui dans la rubrique spéciale pépite d’un auteur invité, « cases mémorables », revient sur un moment immarcescible pour moi, et genèse de mon addiction à la BD. Par un hommage à la collection l’Histoire de France en bandes dessinées chez Larousse, il réveille la nostalgie des revues et autres formats, vendus en maison de presse ou en kiosque (madeleine de Proust de beaucoup, l’attente de la sorite des nouveaux numéros ! ). De cet âge d’or des 70’s et des 80’s. Par l’entremise de cette série qui subjugua les lecteurs de l’époque, il nous fait un joli cadeau !

Ribera, Poivet, Forton, Manara (une expo à Angoulême aussi), de la Fuente, Marcello, Sio, Toppi, etc., le must des auteurs italiens et espagnols, quelques pépites françaises aussi, surgirent ainsi sous les yeux ébahis des ados ou des enfants de l’époque. De certains adultes aussi. Sous des dehors classiques et pédagogiques en diable, une débauche de coups de crayons remarquables qui initieront suffisamment l’œil et l’esprit de beaucoup. Ceux-là même qui achèteront ensuite, en grandissant Vécu (Prudhomme fait aussi l’éloge des 7 vies de l’épervier) ou à suivre.

Donc, précipitez-vous sur ce numéro, bourré de ses rubriques habituelles qui font sa riche saveur, et gonflé par un menu qui satisfera le plus gourmand des bédéphiles.

Clapping mérité !

Marc Olivier Amblard

Les Cahiers de la BD, n°6, 12,50 eur

1 À noter que le Grand prix 2019 a été décerné à Rumiko Takahashiauteur, entre autre, de Ranma 1/2.

La suite du palmarès ici.

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