Héritage, cent ans d’un voyage entre la France et le Chili, le roman de Miguel Bonnefoy

En quelques romans, Miguel Bonnefoy est devenu une voix importante de la littérature française. Héritage confirme tout le bien qu’on a pensé de ses précédents, Sucre noir ou Le Voyage d’Octavio. Est-ce sa double culture française et vénézuélienne qui l’enrichit d’une double influence littéraire, entre le classicisme d’une écriture maîtrisée jusque dans ses moindres recoins et le foisonnement baroque d’un Gabriel García Márquez ? C’est d’ailleurs à Cent ans de solitude qu’on pensera en refermant Héritage.

Du Jura au Chili

Héritage plonge le lecteur dans une histoire d’allers-retours entre la France et le Chili. Une histoire d’immigrés venus chercher l’espoir d’un monde meilleur et y implanter leur vigne. Ils s’enracinent sur un nouveau terreau et y font souche, au point que la France devient un endroit mythique et prestigieux. Sur quatre génération, entre 1873 et 1973, se créé une nouvelle histoire, mais comme un cycle. Avec des allers-retours, à l’occasion des deux guerres mondiales. Et aussi loin que l’on aille, comme semble nous le dire Miguel Bonnefoy, c’est la barbarie que l’on retrouve.

Car cette histoire familiale est aussi une histoire du XXe siècle dans ce qu’il a engendré de pire. Et pour survivre à cette abjection, Miguel Bonnefoy propose un rapport au monde plus sain, orienté vers la nature et les racines primordiales de l’homme. Ainsi la figure du chaman qui traverse les générations et les sauve une à une. Ainsi la présence des animaux comme autant de daemon. Ce qui est le plus sombre, c’est que le mal puisse sourdre d’un pays présenté comme une terre vierge et offerte comme havre où revivre et refaire vivre sa vigne détruite en France par le phylloxéra…

L’amour au temps du phylloxéra

Mais Héritage est aussi une histoire d’amours incroyables. De la mère patrie, de la vigne — qui est le moteur de l’action, c’est le phylloxéra qui chasse le premier de la lignée —, des voyages, de l’aviation, des oiseaux, des instruments de musique… Tant et tant de collections qui composent un ensemble si épars et cohérent, si divers et riche.

L’écriture de Miguel Bonnefoy est une merveille de créativité baroque. Ça foisonne et pourtant c’est brillamment construit. Comme l’histoire qui mêle les cultures, la langue laisse sa place aux mots espagnols, mapuches ou yiddish, faisant entrer les mondes les uns dans les autres comme un sublime brassage. Et comme si les mots français ne pouvaient pas si bien dire tout ce que portaient, d’histoire et de son, les mots autres. L’héritage du titre est-il celui importé de France ou rapporté en France ? Au lecteur de se faire son idée, en faisant les allers-retours sur les traces de cette famille jurassienne et chilienne, dans ce très admirable roman qu’est Héritage de Miguel Bonnefoy !

Loïc Di Stefano

Miguel Bonnefoy, Héritage, Rivages, août 2020, 207 pages, 19,50 eur

(1) Hommage aussi à son père, torturé par la dictature chilienne, Héritage s’ancre dans l’histoire familiale de Miguel Bonnefoy.

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