« Nord-Michigan » de Jim Harrison : en attendant l’orage…

L’écrivain américain disparu récemment, auteur du somptueux Dalva, du cultissismique Légendes d’automne, revient avec un roman sur la compagnie des humains, les jours tranquilles, et l’amour au coin du bois avec une jeune ado affranchie des codes et des inhibitions.

 

Joseph à 43 ans. Il est instituteur. Il habite la ferme de ses parents. Et se prépare à une belle retraite de l’enseignement, puisque l’école ferme, et qu’il ne s’entend pas vraiment avec l’équipe dirigeante. Il deviendra bientôt fermier à son tour, comme dans la saga familiale. Ses nuits, il les partage avec Rosalee, l’éternelle fiancée, l’amie d’enfance, la confidente. Ses journées, il ne les partage avec les autres hommes, mais plutôt avec les animaux et les poissons qu’il chasse et qu’il pèche, mais toujours selon une éthique et une équité qu’il veille à ne jamais perdre. Un sport qu’il pratique parfois avec le vieux médecin Evans, cet ami du père, ce sage.

 

Mais Joseph a un problème, un peu comme tout le monde, une marotte qu’il pourchasse sans fin, ne voyant pas que c’est son « Réel » comme l’aurait dit Lacan, un « Réel qui revient toujours à la même place ». Sa vie entière, il l’a passée accroché à sa ferme, comme une mouche collée au mur par un procédé de tue-mouches ignoble. Il n’en est jamais parti de cette ferme, il n’a jamais parcouru l’Amérique, jamais sorti de cet enclos auquel il se sent attaché tel la chèvre de Monsieur Seguin ; pas même été voir la mer, l’océan Atlantique, sa passion de toujours. Sa vie simple n’aura donc jamais été très simple.

 

Seulement, il avait négligé de faire ce qui occupait la vie de la plupart des gens : se marier, faire des enfants, les élever, exploiter sa propre ferme. Il avait juste subi les contraintes faciles de l’enseignement, et, à part ça, il avait passé sa vie à lire, à pêcher et à chasser, le plus souvent seul. »

 

Mais voilà que dans le ciel calme et tranquille d’une vie à attendre arrive l’orage sous la forme d’une jeune élève de dix-sept ans, Catherine. À l’éternelle fiancée, cette jeune et belle métisse qui a négligé de l’épouser, lui préférant son ami, va voir entrer dans sa vie une rivale, qui aura comme vertu de questionner cette vie immobile ; cette vie à ne rien faire ; cette vie d’impuissances.

 

Tiraillé entre deux femmes, deux mondes, Joseph l’homme immobile, le velléitaire parfait, se trouve dans l’entre-deux, dans le trou de l’entre-deux. Il ne sait plus comme s’en sortir. C’est d’ailleurs le nœud même du roman de Jim Harrison. Loin des grands espaces, des grandes aventures, l’écrivain américain s’attaque avec ce récit à une histoire simple, celle du douloureux passage de la quarantaine, lorsque soudain la vie siffle le moment d’arrêt d’une existence insouciante à attendre des jours meilleurs sans rechercher à faire le moindre effort vers elle. C’est ainsi qu’il raconte les affres de ce personnage, ces moments de doutes, ses colères, ses rancœurs.

 

Avec toujours le même talent, Big Jim nous invite à voyager dans une Amérique puritaine des années 60, bousculant les codes, et questionnant le vrai enjeu de la vie : aller vers soi.

 

Marc Alpozzo

 

Jim Harrison, Nord-Michigan, traduit de l’anglais (USA) par Sara Oudin, 10/18, 2017, 224 pages, 6,60 euros

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