« Passage des ombres », Arnaldur Indridason et la mémoire du crime

Chandler au pays des sagas

Depuis sa série consacrée aux enquêtes de l’inspecteur Erlendur, Arnaldur Indridason est devenu une des figures incontournables du polar international. Il excelle à instiller une ambiance claustrophobe, oppressante, dans ses récits où le tourmenté Erlendur conclue dans la douleur ses enquêtes. Indridason a cependant entrepris de se renouveler avec la « trilogie des Ombres », où il revient sur la période de l’occupation de l’Islande par les britanniques et les américains. Il y met en scène un duo d’enquêteurs, Flovent et Thorson. Passage des ombres est censé conclure cette trilogie, même s’il a été écrit en premier.

Le passé resurgit toujours

De nos jours, à Reykjavik, un vieil homme solitaire est retrouvé mort chez lui par des policiers alertés par des voisins. Le légiste se prépare à une autopsie de routine avec ses étudiants, quand il découvre des fibres dans sa gorge : le vieillard est mort étouffé, il s’agit d’un crime.

L’ancien enquêteur de la criminelle Konrad dîne avec son ancienne collègue, Marta, chargée de l’affaire. Konrad est à la retraite et s’ennuie :

Marta était très occupée quand Konrad vint la voir à la Criminelle où il ne passait que rarement depuis qu’il était en retraite. Il suivait de loin les faits divers, se contentant de lire la presse. / — Je me demandais si tu avais besoin d’aide pour ton enquête sur ce vieil homme, fit-il, profitant d’une pause dans les appels téléphoniques de son ancienne collègue. »

On a trouvé chez le vieil homme des vieilles coupures de journaux relatant le meurtre d’une jeune fille en 1944, Rosamunda. Il s’avère que le vieillard s’appelait Stefan Thorson, un ingénieur qui a aussi été policier militaire pour le compte des américains dans les années 40. Il a enquêté sur ce meurtre et a cru à l’époque dénicher le coupable mais il semble que d’autres éléments aient refait surface. Thorson a-t-il été tué par un homme en rapport avec cette affaire ? De plus, le père de Konrad, un escroc qui travaillait avec un voyant qui voulait consoler les parents de la victime, s’est retrouvé mêlé à cette affaire. 

Remué par cette histoire, Konrad ira jusqu’au bout pour mettre à jour la vérité.

Lourds secrets

Passage des ombres, cher lecteur, raconte l’histoire de ces jeunes islandaises durant les années 40, l’époque de « la situation », qui tombaient amoureuses de beaux soldats américains. Mais pas toutes. D’autres se faisaient violer par des islandais jaloux et on leur disait au final : tu diras que c’était les elfes. Passage des ombres est âpre, froid, dur, alternant les passages dans les années 40 et ceux dans notre époque. La conclusion est implacable, comme dans tout bon roman noir, art qu’Indridason, né dans la lointaine Islande, maîtrise ici parfaitement.

Du grand art.

Sylvain Bonnet

Arnaldur Indridason, Passage des ombres, traduit de l’islandais par Eric Boury, Métaillié, mai 2018, 304 pages, 21 eur

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