Doctor Who saison 11 : la déception

La série Doctor Who est en la perfide Albion l’équivalent pour nous, pauvres franchouillards, d’un camembert normand tout en dégoulinement odorant : une institution sacrée, un monument.

Le retour de la série en 2005 avait réussi une chose a priori impossible : concilier la tradition Whovienne des années dites classiques avec une forme de modernité autant dans la narration, les thèmes abordés, que dans les diverses incarnations du Docteur. De l’excellent Christopher Eccleston, à David Tennant, Matt Smith puis Peter Capaldi, tous avaient réussi à réincarner ce personnage tutélaire en jouant d’une palette variée de personnalités farfelues et graves, folles mais humanistes, toujours dans la détestation d’une violence parfois inévitable.


Que dire des companions, sbires indispensables de notre Time Lord, brillamment personnifiés par, entre autres, Catherine Tate (Donna Noble), Billie Piper (Rose Tyler) ou encore Karen Gillan (Amy Pond) ?

L’annonce de l’arrivée de Jodie Whitakker dans le rôle éponyme pour la saison 11 était une bonne nouvelle : enfin une femme allait se glisser dans la peau du Docteur, donner une épaisseur supplémentaire au personnage, l’emmener là où des hommes n’auraient pu aller, enrichir le personnage, lui donner un supplément d’âme en somme.


Bref, curieux nous étions, impatients nous trépignions, d’espoir nos petits cœurs étaient emplis…


Déçus nous fûmes.

Cherche inspiration désespérément

Le principal grief que l’on devra adresser à cette onzième saison, c’est la frustrante médiocrité des scénarios proposés. Oubliée la fantaisie habituelle de la série, au placard les tours et détours d’intrigues souvent alambiquées mais aux tonalités originales et bonjour fadeur, platitude et simplisme forcé afin de plaire au public de BBC America…


Bannis la science-fiction débridée, les virevoltants voyages interstellaires et temporels mettant les protagonistes face à des menaces et/ou des énigmes plus étonnantes les unes que les autres, et salut sauts de puces terrestres et historiques au ton moralisateur asséné à coups de pelle sur l’occiput du spectateur incrédule et agacé.


Alors oui, que l’on condamne la ségrégation aux Etats-Unis est bien entendu de bon aloi (épisode 3, Rosa), que l’on conchie le consumérisme et l’Amazonisme à outrance est salvateur (épisode 7, Kerblam!), mais est-on obligé de le matraquer de manière si peu subtile, en appuyant le propos par des effets de réalisation et sonores des années 80, en répétant bien lentement et tous les quart-d’heure que tout cela est mal ?

Doit-on laisser au placard tout ce qui fait le sel d’un univers original, toute la profondeur d’un personnage unique dans l’histoire de la SF qui emprunte plus à l’humanisme forcené d’un Vonnegut qu’aux pew-pew lasérisés d’une SF régressive ?


Personne à la BBC et dans l’équipe de production ne semble s’être posé la question essentielle : que souhaite voir un spectateur du Doctor Who au bout du compte ?


Assister à des pensums imbuvables matraquant un discours infantilisant aux velléités moralisatrices ? A de l’auto-psychanalyse bourrée de clichés d’auteurs en mal de présence paternelle (cf. le personnage de Ryan) ? Ou regarder avec jubilation l’odyssée science-fictionelle d’un personnage foldingue et profond à la fois, drôle souvent, terrifiant parfois -en somme multidimensionnel- bondir tel un Zébulon spatio-temporel d’une aventure à l’autre en un jouissif Barnum galactique ?

Le syndrome du soufflé

Si le casting peut faire illusion les trois premiers épisodes, force est de constater qu’aucun des protagonistes récurrents ne sait quoi faire de son personnage. A commencer, hélas, par Jodie Whitakker à qui revient la difficile -impossible ?- tâche d’incarner le premier Docteur au féminin.
Pour autant, la faute en revient-elle à l’actrice ? Certainement pas. Une comédienne, aussi sûre de son art soit-elle, ne peut faire qu’avec ce qu’on lui donne : un scénario et des dialogues. Or, comme je l’ai déjà expliqué c’est là que le bât blesse.

Condamnée à essayer de faire beaucoup avec peu, Whitakker multiplie les effets, tente tout le panel d’expressivité à sa disposition, rendant malgré elle sa prestation particulièrement indigeste, surjouée, vidant le Docteur d’une partie de sa substance.


Ce qui relevait de la fantaisie (cette intraduisible silliness propre à la série), de l’humour so british, devient un festival de grimaces et de gesticulations épuisantes par leur inutilité.

Le même constat s’impose à l’endroit des trois Compagnons. Fades, sans personnalité réelle, les comédiens ont beau faire de leur mieux, comment incarner des personnages qui ne sont écrits que de manière superficielle, peints à la pauvre palette de clichés éculés ?



Docteur… quoi ?

Fruit d’une volonté de la BBC de renouveler le cheptel de spectateurs de la série en séduisant les plus jeunes et le public américain, la saison 11 échoue deux fois. D’abord en s’aliénant le cœur des spectateurs de longue date, qui voient cette saison comme un abandon de l’esprit et de la tonalité si particulière de la série, puis, plus grave, en faisant le choix d’une écriture volontairement simpliste dans le but de rendre plus accessible un univers riche et complexe.

Doit-on le dire encore et encore ? simplifier ne doit jamais signifier abaisser, abêtir, ni amoindrir ! Mais cela demande un effort d’écriture que la BBC ne semble pas -en l’état- être décidée à faire…

Eric Delzard

Doctor Who, série de science-fiction britannique, saison 11, BBC et France 4, 10 épisodes de 50 minutes environ + un épisode spécial nouvel an

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