39,4, la crise de la cinquantaine selon Philippe B. Grimbert
François est un pimpant quinquagénaire. Sa vie privée est terme, mais il travaille dans un milieu de jeunes gens dynamiques et ne dépareille pas. Ce n’est pas un croulant ! Alors quand une jeune femme confirme son attrait mais refuse d’engager une relation avec un homme si vieux, c’est le déclic. Mais que faire de plus pour être aussi jeune qu’il y pourrait paraître ? Et si, comme on change de prénom, il obtenait de l’administration de pouvoir changer d’âge ? C’est le point de départ du très jouissif 39,4 de Philippe B. Grimbert.
« le transhumanisme était aussi un humanisme »
Quoi de mieux pour critiquer une déviance que d’en proposer une similaire et de la porter à incandescence ? De tirer tous les fils logiques et d’exposer au lecteur les simples faits enchaînés avec un art consommé de l’écriture sérieuse et ironique à la fois, dans des formules qui pourraient rappeler Pierre Desproges parfois ?
39,4 c’est l’âge physiologique de François, comme il y a une température et une température ressentie. Cinquante, c’est son âge réel. Cette inadéquation crée une souffrance dont vont s’emparer un avocat spécialisé et la société HumanProg, « support scientifique, technique et spirituel aux évolutions biotechnologiques de l’humain », manière de lobby de toutes les possibilités du transhumanisme. Un projet se met alors en place : créer une association pour fédérer tout un monde autour de François et en faire le premier homme désynchronisé !
Une satire sociale
Est-ce la critique d’une époque qui permet à chacun de tout opposer à l’Etat dans la seule recherche d’une satisfaction identitaire individuelle ? Est-ce le portrait d’une génération perdue, sans idéologie ni pouvoir ? Un peu de tout cela, avec en complément une peinture sociale caustique ? Quand un auteur met son talent pour pousser sa logique dans ses derniers recoins et faire au final un portrait à l’acide et au cordeau d’un monde très réaliste et qui semble plus proche du réel que de l’anticipation d’un avenir
L’écriture de Philippe B. Grimbert porte à la joie. Il y a des moments de perfection qui marquent, un vocabulaire acéré et des trouvailles d’une grande richesse. 39,4 est un roman précis et merveilleusement construit. Jouissif même quand on se laisse porter par cette manière érudite sans être altière de regarder le monde : un pas de travers en souriant mais les travers bien en face !
Loïc Di Stefano
Philippe B. Grimbert, 39,4, Le Dilettante, mars 2021, 256 pages, 18 eur