RétroFictionS, retour vers le futur à la française

RétroFictionS, sous-titrée Encyclopédie de la conjecture romanesque rationnelle francophone, par Altairac & Costes chez Encrage/Belles Lettres, est une somme monumentale qui va marquer l’Histoire des littératures populaires de genres.

 

RétroFictionS, c’est d’abord un bel objet d’éditeur, issu de la collaboration Encrage/Belles-Lettres. D’abord quelques chiffres s’imposent pour décrire la somme. Rien moins que près de 2500 pages, en deux volumes reliés sous emboîtage, en coffret cartonné quadrichrome illustré par Jeam Tag. 11086 articles, 5000 auteurs, un index triple (thématique, chronologique, titres), 1000 iconographies. Le tout pesant près de 5 kilos.

 

12 ans de recherches & quelques sources cultes

Après douze années d’un travail de recherches hallucinant, les deux encyclopédistes, aidés d’un collectif de collectionneurs et de spécialistes pointus en tous genres, ont élaboré cette architecture textuelle digne de la bibliothèque de Babel chère aux polygraphes au premier rang desquels Jorge Luis Borges.

La pierre de touche de cet univers-livre est une référence auprès de laquelle tous les amateurs de littératures de l’imaginaire ont biberonné depuis sa première édition en 1972 chez L’Age d’Homme : L’Encyclopédie de l’utopie et de la science-fiction par Pierre Versins (pseudonyme de Jacques Chamson).Cette encyclopédie-ci est appelée par tous LE Versins.

Peu de choses ensuite, tenteront des recensions de cet acabit. Citons pourtant deux autres références connus de tout amateur éclairé :

Ce sont ces œuvres cultes, ainsi que leurs équivalents anglophones (les bibliographies de l’américain Bleiler surtout), que les doux rêveurs ou les collecteurs fous que sont Joseph Altairac et Guy Costes ont voulu mettre à jour. Pour notre plus grand bonheur !

Car depuis les travaux de l’exégète alsacien Versins, les ressources documentaires et archivistiques ont explosé. Grâce à la propagation de l’intérêt pour les genres sciences-fictifs dans le monde culturel. Et même au-delà. Les amateurs éclairés, les universitaires, les érudits de publications populaires (l’équivalent européen des pulps) ont multipliés les occurrences possibles à ce multivers. Grâce aussi à la boîte de pandore du web que les geeks, les nerds de tous poils et de toutes obédiences ont aidé à alimenter et à viraliser en mode pandémie.

Papier et digital, comme une sorte de mariage, déjà, du futur et du rétro.

 

« La Sortie de l’opéra en l’an 2000 », Albert Robida (1848-1926)

 

Des contraintes et des objectifs

Cependant avec une double contrainte : se limiter (sic !) au champs de la francophonie et à une échelle chronologique stricte (re-sic !).

En effet, cette période est délimitée de 1532, date du Pantagruel de Rabelais, jusqu’au moment où la Science-fiction devient contemporaine avec les créations des premières collections dans l’Édition française : Anticipation au Fleuve Noir & le Rayon Fantastique chez Hachette/Gallimard en 1951.

Seconde contrainte. Cerner une définition du genre : le conjecturel rationnel romanesque, pour reprendre les termes préférés par les auteurs. Et plutôt que de procéder par inclusions détaillées, l’idée a été de pointer des exclusions claires. Pas de fantastique, pas de féerique, pas de merveilleux médiéval ou de fantasy, pas d’irrationnel magique ou mystique. Ni roman historique stricto-sensu, ni de roman policier, ni de roman d’aventures. Gageure, s’il en est ! Car ces histoires étaient publiées justement au sein des collections relevant de ces genres-là, au mieux en littérature blanche ou mainstream.

 

Un corpus incroyable

Malgré tout cela, le corpus est tout bonnement vertigineux. La variété des supports aussi parle d’elle-même.

  • livres sous toutes ses formes : romans, nouvelles, poèmes, Bandes dessinées et illustrations, chansons, presse et journaux, revues et magazines, fascicules et opuscules ou feuillets.

mais aussi

  • assiettes, cartes postales, buvards, devinettes, éventails, partitions musicales, jouets etc…

Les entrées sont innombrables et les thèmes explorent bien sûr les items évidents propre au genre, comme les plus débridés.

  • anticipation, voyage temporel & uchronie, utopie & contre utopie (terme préféré à dystopie), cryptozoologie & biologie, sciences, médecine & savant (fou), préhistoire & archéologie, société secrète & parapsychologie, monde perdu, Atlantide & dinosaure, fin du monde & fin de l’humanité (deux entrées bien différenciées)…

D’aucuns sont particulièrement étonnants.

  • Humour, Sport, érotisme et pornographie, greffe, mode, Napoléon (huit sous-thèmes et 32 occurrences !).

 

Un Who’s Who de la rétrofiction

Concernant les entrées auteurs, la plus magistrale ressource, il y a ceux que l’on attend et ceux que l’on découvre.

  • Jules Verne, Maurice Renard, Paul D’Ivoi, Capitaine Danrit, Léon Groc, Albert Robida, Gustave Le Rouge, les Rosny, Jean Ray ou Maurice Limat sont des habitués des genres populaires. Sans surprise, ils sont donc largement commentés et annotés avec une profusion d’iconographie délectable.
  • Ils côtoient par le hasard du classement alphabétique les Rabelais, Maupassant, Zola, Hugo et d’autres écrivains académiques. Et parfois pour des textes surprenants.

Comme Baudelaire, qui ébaucha sans le terminer, un roman apocalyptique La Fin du monde – un roman sur les derniers hommes ! On trouve aussi dans « Fusées », un passage de la même eau, sur un futur sombre, commençant par « le monde va finir »

 

[…] nous périrons par où nous avons cru vivre. La mécanique nous aura tellement américanisés, le progrès aura si bien atrophié en nous toute la partie spirituelle que rien, parmi les rêveries sanguinaires sacrilèges ou anti-naturelles des utopistes, ne pourra être comparé à ses résultats naturels »

Une mine d’extraits et de trouvailles

Mais surtout le miel qui fait toute la gourmandise de ces deux tomes, est la profusion des auteurs. Les habitués à d’autres latitudes. Tel Uderzo et Franquin, futur vedettes de la BD ou Georges Sim alias Simenon. La longue litanie aussi, au début du premier tome, des anonymes, des inconnus, est une mine de curiosités impressionnantes de créativité. Depuis le n’importe quoi comme les aventures du diabolique Rapax et autres Fascinax jusqu’à la rareté la plus précieuse ! Mais aussi les méconnus et les délaissés injustement oubliés par l’édition francophone hormis quelques louables tentatives papier ou numérique, ou en BD avec la brigade chimérique sous l’égide de Serge Lehman et Fabrice Colin.

Enfin, la richesse des extraits qui parsèment les ouvrages, est un trésor dans le trésor. Donnant à lire des visions extraordinaires, des projections inédites, des prospectives érudites, des mondes alternatifs, ils permettent aux curieux et aux néophytes, un voyage proche de la sérendipité la plus jouissive. Cibler un article, en picorer un autre et tomber sur une pépite improbable et inconnue.

La mienne fut l’anonyme Histoire plaisante et récréative de Napoléon dans l’autre monde, imprimé en 1835 à… Auxerre. Un monde du fleuve de PJ Farmer avant l’heure, où les grognards et l’Empereur ressuscitent sur la lune, conquièrent le soleil puis explorent Sirius. Pamphlet déguisé sur 50 pages, avec extraterrestres et inventions invraisemblables ! Bref, une curiosité comme il s’en trouvent des milliers dans cette somme.

Saluons donc ici haut et fort Joseph Altairac & Guy Costes, pour ce travail digne des moines copistes. Tels des humbles mais joyeusement barrés Bartleby, ils ont hantés les antres les plus reculées des bibliothèques, des librairies, des bouquinistes et des antiquaires pour nous trouver ces innombrables ressources.

Révérence et chapeau bas !

 

Marc-Olivier Amblard

Guy Costes et Joseph Altairac, Rétrofictions, Encyclopédie de la conjecture romanesque rationnelle francophone, de Rabelais à Barjavel, 1532-1951, 2458 pages (en deux volumes), index, 1000 Illustration(s) N&B, 115 eur

 

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