La porte du soleil, le grand récit de la geste palestinienne
Du 16 au 17 septembre 1982, des phalangistes chrétiens libanais massacrent entre 400 et 3000 (les chiffres varient) palestiniens réfugiés dans les camps de Sabra et Chatila. L’armée israélienne laisse faire, en toute complicité. Ces événements ainsi que leur suites sont relatés par un libanais d’origine orthodoxe : Elias Khoury. Son roman La porte du soleil est le grand récit de la geste palestinienne. Un chant choral envoûtant.
Quand l’histoire s’affole : le 23 août 1982, Bachir Gemayel, chef des phalangistes, est élu président du Liban. Israël accepte un cessez-le-feu. À la demande des États-Unis, les combattants de l’OLP quittent Beyrouth, leurs représentants se réfugient en Tunisie. Ils étaient 15 000. Suite à leur départ, la FINUL quitte le Liban le 11 septembre. Sa mission consistait à protéger les civils palestiniens. Le 12 septembre, Israël estime qu’il reste à Beyrouth 2 000 combattants de l’OLP : ils font partie de la mission diplomatique reconnue par le gouvernement libanais. Le 14 septembre 1982, le président Bachir Gemayel est assassiné. Le 16 septembre les phalangistes entrent dans les camps de Sabra et Chatila…
Khalil fait partie de ceux qui sont restés. Il se cache dans un hôpital du camp de Chatila, délabré suite aux divers bombardements. Champs, son amante, a été assassinée, sa famille le croit coupable elle veut le venger. On le dit médecin, puisqu’il a fait un stage médical de trois mois en Chine…
La geste du héros
Pour Khalil, Younes dit Abou Salem (le père de Salem) fut un héros, un chef fedayin : « Tu es notre véritable fierté : tu as fait vivre en nous notre pays que nous n’avions jamais connu. Tu as tracé nos rêves avec tes pas » lui dit-il… Après une vie entière passée dans la clandestinité, Younès n’est pourtant pas tombé en martyr, mais suite à un avc. Sa fin prochaine a donc quelque chose de dérisoire, à l’image peut-être des combats qu’il mena… ou qu’il ne mena pas ? Sa guérilla aurait-elle consisté surtout à fuir devant un ennemi trop puissant et à se cacher ? Il gît aujourd’hui dans une chambre de l’hôpital, dans le coma. Tous les jours Khalil s’assied près de lui : il pense que lui parler pourrait le maintenir en vie et, qui sait ?, pourrait le réveiller. Il égrène ses souvenirs, et ceux que Younès lui a confiés, sans doute pour ramener l’âme errante à son corps pour l’instant inhabité :
Rien, mon ami, rien. Tout ce que j’ai à dire c’est que je suis prisonnier, prisonnier de cet hôpital et que je me nourris de souvenirs, comme tous les prisonniers.
On peut voir dans cette phrase une métaphore de la condition palestinienne.
Sur sept cent pages, nous voyons défiler une sarabande de souvenirs dans un temps concassé, de la Nakba de 1948 aux suites de Sabra et Chatila. Enfant, Younès est enrôlé dans les lionceaux palestiniens, plus tard il assiste de loin à la destruction de son village, à l’assassinat de ses amis, il recherche et retrouve sa femme réfugiée dans un autre village, il se cache, quand il le peut, tous les deux à trois mois, il la retrouve dans une grotte appelée Bab Al-Shams, la porte du soleil, pour une brève rencontre…
Un combattant empathique
Né à Beyrouth en 1948 dans une famille chrétienne orthodoxe, Elias Khoury a écrit une quinzaine de romans. La Porte du soleil, d’abord publiée en 2002, est son neuvième opus. Il a été traduit dans plusieurs langues – dont l’hébreu ! En 2004, l’Égyptien Yousry Nasrallah a réalisé son adaptation cinématographique. Aujourd’hui, Elias Khoury continue d’écrire et de s’engager, toujours avec la même passion pour la littérature et la même soif de justice.
En 1967, visitant un camp de réfugiés palestiniens en Jordanie, il décide de devenir membre du Fatah. En 1975, il prend part à la guerre civile libanaise, il est sérieusement blessé. Devenu athée, il estime que la cause essentielle des conflits du Moyen Orient est de nature religieuse.
Quand je travaillais sur ce livre, a-t-il déclaré, j’ai découvert que l’Autre est un miroir du Je.
Il s’est efforcé d’éviter les stéréotypes du Palestinien comme de l’Israélien :
L’Israélien n’est pas seulement le policier ou l’occupant, il est l’« autre », qui a aussi une expérience humaine, et nous avons besoin de cette expérience. Notre lecture de son expérience est un miroir pour notre lecture de l’expérience palestinienne.
Cette qualité d’empathie imprègne le roman entier, il en fait tout son prix.
Mathias Lair
Elias Khoury, La Porte du soleil, traduit de l’arabe par Rania Samara, Actes sud, « Babel », octobre 2023, 700 pages, 12,70 euros