L’énigme des Foster du maître de l’anamnèse Robert Goddard

Greville Lashey est un entrepreneur qui a bien réussi. Au terme de sa vie, bien qu’officiellement retiré des affaires, il demande à son homme de confiance de mener pour lui une dernière mission, avant de le laisser prendre une retraite bien méritée : aider une universitaire à écrire l’histoire de sa multinationale du kaolin. Des archives ont disparu, et seul Jonathan Kellaway semble en capacité de les retrouver. Mais cela va le plonger dans ses souvenirs enfouis, quand il était jeune homme. L’Enigme des Foster, roman sublime de Robert Goddard, nous plonge au cœur des noirs secrets d’une famille que tout prédisposait au bonheur.

Dans l’industrie du kaolin

L’Enigme des Foster ne déroge pas aux règles d’écriture habituelles de Robert Goddard, lente, et majestueuse, qui laisse installer des ambiances et des personnages. L’histoire se déroule sur trois plans historiques (aujourd’hui [2010], la fin des année 60 et 1984) et deux lieux (la Cornouaille brumeuse et Naples et Capri étincelants). Et les déplacements de l’un à l’autre vont être constants. Menant son enquête, Jonathan Kellaway va retrouver la terre de sa jeunesse, ses anciens collègues qui y sont restés tandis qu’il gravissait les échelons et accomplissait brillamment les missions internationales qui lui étaient confiées. Un voyage dans le passé, donc, à la recherche de papiers administratifs vieux de quarante ans et dont tout le monde devrait se désintéresser totalement. Que peuvent-ils avoir d’intéressant, d’autant qu’ils concernent une entreprise absorbée depuis longtemps par sa concurrence ? Rien. Sauf s’ils sont au cœur même d’un drame familial dont Jonathan Kellaway a été le témoin direct, voire parfois l’acteur. Et toujours à son insu…

L’industrie du kaolin est un des cœurs de L’Enigme des Foster. C’est l’origine de la fortune familiale, c’est le décor de la jeunesse de Jonathan Kellaway, c’est l’univers dans lequel Greville Lashey va constituer son empire. Les détails sont nombreux et instructifs, mais outre la partie purement documentaire, c’est vraiment dans le kaolin que cela se passe, car la narration mêle avec beaucoup de rigueur l’histoire familiale, l’énigme et cette industrie.

Un drame familial

Rien ne destinait Jonathan Kellaway à entrer en contact avec la famille Wren, propriétaire d’une riche entreprise de kaolin. C’est le hasard qui mettra sur sa route l’intrigant Oliver, brillant jeune homme introverti, et sa sœur, la trop belle Vivien. Leur père s’est suicidé bien des années auparavant et leur beau-père, Greville Lashey, a pris les rennes de l’entreprise, qui, par fusion, est devenue au fil des années un consortium international. Un bon mariage pour un homme qui ne semble ému par rien. Mais sur cette famille, qui avait tout pour elle — beauté, richesse, liberté —, le destin appuie avec acharnement son aiguillon le plus noir. Et les drames s’enchaînent…

Brève éclaircie dans ce récit assez sombre, l’escapade à Capri du jeune Jonathan et de la jeune Vivien. Où l’on découvrira une autre facette de la famille, d’autres personnages dans leurs décors et de nouveaux secrets. Où l’ombre d’une âme damnée, qui poursuit Jonathan en Cornouailles et en Italie, et qui semble être une des clés pour accéder aux raisons premières du sort qui s’acharne. Mais Jonathan est-il capable de déjouer les tours de ce roué, parmi tous ceux qu’il devra affronter ? N’est-il pas toujours un peu trop crédule ?

Jonathan est à la fois le narrateur et le personnage central, même si l’on ne comprend pas d’abord comment il peut l’être. Lié à la génération Wren de son âge, il prendra Greville Lashey comme mentor et le laissera lui offrir un bel avenir professionnel. Quoi qu’offrir, parlant de l’intrigant Greville Lashey, est peut-être un bien grand mot…

un maître de l’anamnèse

L’Enigme des Foster est un roman merveilleusement construit, et Robert Goddard un incroyable raconter d’histoires. Le lecteur suit l’évolution d’un Jonathan Kellaway d’abord penaud, puis de plus en en plus assuré même s’il garde un fond de vielle bonne éducation, une manière de quant à soi vieux jeu et élégant. Tout est en place pour suivre l’enquêteur et comprendre en même temps que lui ses propres erreurs (passées et présentes), ce qui en fait un personnage particulièrement attachant.

Robert Goddard est incontestablement un maître des intrigues qui s’étendent dans le temps et l’espace, qui prennent leur temps et touchent toujours aux secrets les plus intimes. L’Enigme des Foster en est un brillant exemple.

Loïc Di Stefano

Robert Goddard, L’énigme des Foster, traduit de l’anglais par Claude et Jean Demanuelli, Sonatine, octobre 2021, 497 pages, 23 euros

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