Deviens ce que tu es, Pour une vie philosophique

Dorian Astor, docteur en philosophie, ancien élève de l’ENS Ulm, agrégé d’allemand, est spécialiste de Nietzsche dont il a publié chez Gallimard une biographie en 2011 et les œuvres dans la Bibliothèque de la Pleiade et une biographie chez Gallimard en 2011. Il a également publié plusieurs traductions de l’œuvre de Freud. Musicien confirmé, il est, depuis la saison 2020-2021, le dramaturge de l’Opéra national du Capitole de Toulouse. 

« Deviens ce que tu es » Cette formule de Pindare, reprise par Nietzsche, est lue comme une mise en demeure à devenir meilleur que soi. Pour répondre à la question : « Qu’est-ce que tu deviens ? » posée par une ancienne relation dans un café berlinois, Dorian Astor va enclencher une longue réflexion alimentée de nombreuses références philosophiques et nourrie d’une pluralité de points de vues, sinon opposés, du moins divergents. Du point de départ de l’idéal aristocratique de Pindare avec son « Puisses-tu, ayant acquis des connaissances, devenir tel que tu es. » auquel Aristote oppose le juste milieu relatif à chacun et la limitation de l’être entre son enveloppe déterminée et le néant illimité — le Tout et le Rien — l’auteur va traverser des siècles de réflexion autour de cette injonction à devenir soi. 

Il évoque les Epicuriens, héritiers du Carpe diem d’Horace et l’aurea mediocritas chère à leur doctrine en en dessinant l’héritage chez Montaigne « Le prix de l’âme, ne consiste pas à aller haut mais ordonnément. Sa grandeur ne s’exerce pas en la grandeur : c’est en la médiocrité » . Sont également invoqués Pascal et Nietzsche « Deviens, ne cesse de devenir qui tu es, le maître et le formateur de toi-même. » Et Freud pour qui devenir celui qui dit « je » passe par une victoire de l’inconscient, ce qui ouvre la porte aux états de domination les plus divers, aux « dérives des nouveaux médecins de l’âme », à la « dérive psycho-sociologique des gourous de quartiers ». Son analyse est aussi sans pitié pour Jacques Attali avec « son obsession du self-made man », ce « chantre du capitalisme joyeux » , «ce prêtre déguisé en prophète » qui ne propose finalement que des solutions économiques à la formule qui revêt pourtant des aspects bien plus ontologiques. 

Viennent ensuite Althusser suivi de Michel Foucault et « ses analyses des modes de sujétion où les pratiques et discours du pouvoir imposent des types de subjectivité ». Puis c’est au tour de Deleuze et Guattari pour lesquels « Devenir soi est toujours l’élan d’une croissance et le coup d’arrêt d’une limite. ». C’est un choix, une création permanente, en lien avec les événements qui nous traversent; une somme d’individuations partielles qui conduisent peut-être à la fin, à la connaissance de ce que l’on est, à l’instar du fameux « Connais-toi toi-même » des Grecs anciens. 

Enfin et pour conclure, le philosophe proposera sa propre réponse à la question, sans pour autant fournir de mode d’emploi, laissant le soin à chacun, de démêler cette équation liée au réel et contenant dans sa réponse, notre propre évolution. Un essai formateur qui, par la richesse de ses références et sa réflexion partagée, constitue un événement, une concrescence entrant en résonance avec le lecteur, afin de l’élever, pour reprendre l’auteur, « dans un devenir impersonnel, c’est à dire plus que personnel. »

Nathalie Hanin

Dorian Astor, Deviens ce que tu es, Pour une vie philosophique, Autrement, septembre 2023, 19 euros

Lire un extrait

Laisser un commentaire