Pour tout bagage, le passé nous hantera toujours
Du journalisme au roman noir
Ancien journaliste, Patrick Pécherot s’est lancé dans l’écriture de romans il y a une vingtaine d’années, principalement dans le roman noir. Il a obtenu avec l’excellent Hevel, dont l’histoire se déroule durant la guerre d’Algérie, le prix Mystère de la critique en 2019. Pour tout bagage s’ancre lui aussi, comme on va le voir, dans le roman noir.
Les années de plomb resurgissent
J’ignore qui était Edmond Vuillat, pourtant nous l’avons tué. Il est étendu sur le sol en ciment d’un parking urbain. Près d’une Renault 16 identique à celle que conduisait Georges Pompidou, cigarette au bec. Sur la photo, sa silhouette évoque celle du président décédé quelques mois plus tôt mais il ne doit pas sa mort à la maladie qui a rongé le chef de l’État. Une balle d’un calibre respectable s’est frayé un chemin à travers sa poitrine pour la faire exploser.
France, 1974, cinq lycéens, la tête remplie de fadaises gauchisantes et de rêves de grand soir, suivent les exploits d’un groupe anarchiste espagnol qui vient d’enlever un banquier espagnol. Après l’arrestation de ce groupe, ils décident de le venger et de tirer sur un certain Billard, pour lui foutre la pétoche à ce suppôt du grand capital. Mais ils tuent un passant, Edmond Vuillat, par erreur.
Morts de peur, les cinq plongent dans la clandestinité puis refont leur vie. L’un d’eux, Paul, devient même un patron de presse de gauche, enfin l’officielle. Jusqu’au jour où ce dernier reçoit un manuscrit non signé, Les nuits de plomb, où est raconté cette histoire. Paul meurt peu après. Arthur, l’un des membres du groupe, décide de mener son enquête. Et c’est son passé qu’il revisite, entre nostalgie et dégoût.
Le temps a passé…
Pour tout bagage est un roman court, dense, parfois âpre. Et aussi complètement réussi. L’auteur nous immerge dans le passé d’une génération qui a vraiment cru, après 68, que le grand soir approchait. On voit des jeunes ados, entre rock et gauchisme, entre Mao et Lennon, on sent leurs espoirs. Et le narrateur relit son passé, découvrant aussi que sa bande de potes cachait aussi certains secrets. Pour tout bagage se termine avec un secret de femme (et je n’en dirai pas plus), un truc qui donne envie de se servir un whisky pour faire passer l’horreur du monde.
Pour tout bagage est un excellent roman noir.
Sylvain Bonnet
Patrick Pécherot, Pour tout bagage, Gallimard « la noire », août 2022, 176 pages, 16 euros