La Dissidence des cancrelats, le polar des bas-fonds par Romain R. Martin
Un couple improbable de SDF vit sous la terre. Elle est une toute petite femme qui aime à s’imaginer souffrir ; lui une manière de géant nordique surpuissant. La nuit, ils s’occupent, comme pour une mission, à réparer les rames du métro, puis retournent dans leur terrier. Ils y vivent avec un autre paumé qui, lassé de les servir, subitement, les attaquent et s’enfuit. Lancés à sa poursuite, à travers les boyaux infects. Ainsi s’ouvre La Dissidence des cancrelats, polar qui va nous entraîner les profondeurs les plus glauques.
une cité sous la terre
Imaginez un dédale de boyaux plus ou moins immondes où vivent une poignée de héros chthoniens. Un monde sous le monde. Un monde fait de vermine et de héros aux noms prodigieux aussi beaux que les loques qui les couvrent.
L’intrigue est simple : une errance de Claude Sørensen et de Werther à la recherche de Fausto. Pour se venger et comprendre. Car cela fait bien longtemps que Fausto sert les deux hôtes de son terriers, presque en esclave. Pourquoi cette soudaine folie ? Et pourquoi être déguisé de la sorte ? Et pourquoi chercher la protection de Magnus, qui règne sous la terre comme roi des lépreux ?
Mais cette histoire sert de prétexte à explorer cet infra-monde en dessous du monde, et a faire le portrait de personnages particuliers. Le roman fait alterner les voix, si bien que le lecteur parcours la folie de chacun en changeant de point de vue. Comme si cette course-poursuite n’était pas qu’une folie passagère mais allait révéler bien des secrets. Les tensions longtemps contenues vont soudain exploser ! Et si cela ressemble pour le lecteur à un enfer, c’est le monde dans lequel les personnages vivent, s’aiment et s’entretuent. Tout naturellement.
une voix à part
Porté par une écriture cinématographique, La Dissidence des cancrelats a tout pour séduire les lecteurs qui aiment à se laisser envahir par l’ambiance d’un roman complètement fou. La construction est imparable et l’alternance des voix donne de la profondeur au récit. On voit ces lieux sales dans lesquels on s’enfonce, comme au plus profond d’un corps gluant et aux multiples ramifications.
Mais il faut aussi signaler une particularité. Le style est très loin des canons du genre. Il est très travaillé, un rien trop, parfois, pour le polar. Non pas que les autres auteurs ne travaillent par leur style, bien sûr que non, mais disons que Romain R. Martin a des phrases recherchées, aussi bien leurs tournures que le vocabulaire. Cela fait une voix particulière et très intéressante, avec une attention portée à chaque mot et pas simplement au rythme des pages qui s’enchainent. Si les auteurs souvent, dans leurs premiers ouvrages, essaient de trouver leur style en s’inspirant de leurs propres maîtres, Romain R. Martin impose le sien !
Loïc Di Stefano
Romain R. Martin, La Dissidence des cancrelats, LBS, novembre 2020, 256 pages, 14,80 eur