Les aigles endormis, thriller au coeur de la mafia albanaise

Dernier bastion du communisme en Europe, l’Albanie a été tenue d’une main de fer par le dictateur Enver Hoxha (1908-1945), puis par son successeur élu dans une farce démocratique. La vie publique est surveillée par le terrible Sigurimi, service de renseignement particulièrement puissant. C’est dans cette Albanie terrifiée que grandit le personnage principal du roman de Danü Danquigny, Les Aigles endormis. Et le roman devient une plongée dans la mémoire d’un pays.

Je n’avais ni attaches, ni projets, et il le restait pour seul héritage une lucidité consternée quant aux perspectives d’avenir d’un type ni trop bête, ni trop malin, peu diplômé, sans appui et sans fortune dans ce mouroir que devenait chaque jour un peu plus le pays.

Une enfance au temps du dictateur

Arben aurait pu être diplômé de l’Université. Mais quand ses parents meurent prématurément, il doit entrer à l’usine. Travailler pour subsister dans un environnement bouché. Il reste toujours attaché à sa petite bande d’amis, entre ceux qui participent à la lutte et ceux qui vont continuer de faire ce qu’ils savent le mieux : profiter du système. Et c’est avec ces derniers qu’il va orienter son avenir. De petits trafics, ils deviennent passeurs pour ceux qui peuvent payer leur fuite de cette dictature au nord de la Grèce. Puis trafiquants de drogue. Puis ils deviennent une vraie mafia avec les crimes et les politiques ou policiers payés pour leur silence. Tout cela dégoûte Arben, mais il fait profil bas, monte dans la hiérarchie et amasse de plus en plus d’argent, avec un seul objectif : quitter le pays, dignement, avec sa femme et ses enfants, pour un avenir meilleur en France.

Revenant au pays vingt ans après l’avoir fui, Arben renoue de manière violente avec son passé. Il revient pour se venger. Les chapitres alternent entre le présent de sa quête et le passé du pays qu’il a quitté. Et petit à petit le dessin d’un homme qui ne voulait pa devenir un monstre s’affine.

Portrait d’un petit pays

Les Aigles endormis est l’occasion d’une plongée dans la mémoire d’un pays quasi oublié au cœur de l’Europe. D’un pays qui de renfermé sur lui-même par une hystérie collective devient la proie des capitaux étrangers et d’un soft power qui va le dénaturer.

« J’ai quitté un pays en pleine destruction, mais imprégné d’une identité forte. Et […] je perçois les effets de vingt ans de travail de sape et de déculturation. »

Les Aigles endormis est un roman très prenant qui dépasse largement le cadre habituel du roman noir. Ou plutôt qui se sert du roman noir pour décrire la dérive d’une nation et d’hommes qui auraient pu être meilleurs.

Loïc Di Stefano

Danü Danquigny, Les Aigles endormis, Gallimard, « Série noire », janvier 2010, 214 pages, 18 eur

Laisser un commentaire

%d blogueurs aiment cette page :