Sur la tête de ma mère, la langue de Saïd Mohamed
La mort d’une mère, ça nous retourne. Du coup nous retournons au passé désormais clos, on refait l’histoire… ce que fait Saïd Mohamed dans son septième roman, dans une langue drue, en partie héritée de sa génitrice, dont il cite quelques paroles, par exemple :
« Le jour de mon enterrement, peut-être bien que vous chialerez si ça vous dit de chialer. Et puis le lendemain vous rigolerez, quand vous repenserez à mes conneries ».
Et aussi :
« En tous cas, moi, dans mon trou, j’en veux pas de pierre sur la goule; Ah dame, non ! De la terre toute simple et pas de plaque avec mon nom dessus » ; « et là où que je dormirai, je veux qu’on y mettre des coquelicots »
Misère de misère

Elle est brut de brut, la mère, comme la vie qu’elle a eue, rejetée par son père dès l’enfance, devenue fille de ferme. Du coup, bien qu’analphabète, elle avait le marxisme dans le sang, tendance anar : elle opposait le monde en deux classes, les pauvres et les « gros cons de riches ». Elle faisait partie de ce que, avec dédain, Marx appelait le lumpenproletariat. Comme tous les miséreux, elle n’avait qu’une obsession, manger à sa faim, et qu’un seul plaisir, le cul. Puisque, dans l’extrême dénuement, c’est le seul bonheur qui reste à notre portée. Elle a épuisé cinq hommes, sans compter les autres, et en a hérité de nombreux enfants aujourd’hui disséminés, et a dépassé ses quatre-vingt- dix ans avant de… clamser.
Ce qui a conduisit Saïd Mohamed à « bénéficier d’une mesure de protection » : il a passé une partie de son enfance et de son adolescence, dix ans en tout, dans les foyers de l’A.S.E. (ex DASS). On a dit, peut-être est-ce lui, qu’il aurait pu y préparer de sérieuses études en délinquance pour connaitre ensuite la prison ; mais que, plus porté sur l’amour que sur la délinquance, pendant que le gendarme courait après ses frères pour les mettre en tôle, il courut après la fille du gendarme pour la mettre dans son lit, et y réussit. Il est prêt à croire que cet amour l’a sauvé…
La langue du peuple
La langue de Saïd Mohamed, sa réalitture dit-il, a hérité de cette verve, chacune de ses phrases est une invention clownesque où la violence subie se retourne en drôlerie, il le faut pour ne pas crever idiot. Citation :
« La mère venait de casser sa pipe, de claquer son baigneur, de fermer son clapet, de riper ses galoches. Expressions toutes plus belles les unes que les autres que ces mots venus du plus profond de la langue du peuple. (…) Là où il ne faudrait que du sentiment précis, circoncis, de la nuance, j’incise à la tronçonneuse, je ponce à la mitraille, et varlope au bulldozer ».
Cette langue du peuple est une création permanente, un bouquet de métaphores incongrues. Ce jeu continuel avec les mots démontrant que l’on n’est même pas prisonnier de la langue dans laquelle les « gros cons de riches » ont voulu nous enfermer, avec les valeurs pourries qu’ils y ont injecté.
L’auteur est resté fidèle à cette langue, il la défend. Diam’s ou encore L’Algérino chantent une chanson titrée, comme le roman de Mohamed, Sur la tête de ma mère. Il y est question de loyauté, de respect et de fierté envers la mère. On y trouve ces paroles :
Je dépose une couronne de diamant sur la tête de ma mère,
J’ai dans le sang de quoi faire baliser la France, mon histoire est indécente
Dans ce roman, notre auteur retrace donc la vie de sa mère dans la Sarthe normande, aussi celle de son père, berbère amazigh descendu de ses montagnes arides pour devenir malgré lui bâtisseur du mur de l’Atlantique nazi, il évoque également son propre parcours d’ouvrier, d’imprimeur, d’éditeur, de voyageur, d’enseignant à l’École Estienne, celui aussi d’un grand père grand tueur de « boches » en 14-18… Le peuple est son sujet principal, il en décrit les protagonistes avec authenticité et humanité, ce livre se situe donc bien dans la veine de la littérature populiste. Autant que le Grand prix Charles Cros de Poésie qui lui a été décerné en 2018 pour Un Toit d’étoiles, notre auteur ne mériterait-il pas de recevoir le Prix Eugène Dabit du roman populiste ?
En attendant, Saïd Mohamed est devenu gardien d’un château. Il vit parmi les écureuils et les sangliers, et consacre son temps à mettre de l’ordre dans ses manuscrits, dans une quiétude enfin trouvée…
Mathias Lair
Saïd Mohamed, Sur la tête de ma mère, éditions Lunatique, septembre 2024, 260 pages, 24 euros