Sans images ni paroles, Spinoza face à la révélation

Le brillant essai Sans images ni paroles, Spinoza face à la révélation de Gilles Hanus permet de mieux cerner le rôle que Spinoza a joué dans l’interprétation des textes sacrés, notamment de l’Écriture et de la loi.

 

Spinoza, le grand cartésien, le rationaliste, le philosophe qui dresse une adéquation géométrique entre l’homme et Dieu, relit les Écritures dans son Traité Théologique Politique. Dans un livre aussi court que dense, Gilles Hanus propose une lecture critique de l’interprétation spinoziste inspirée des Écritures.

 

Ce livre est d’autant plus intéressant, qu’il pose avec une remarquable pertinence, la problématique qui n’aura échappé à personne, et qui touche au fondement de la philosophie du philosophe hollandais : comment Spinoza articule-t-il la raison et la révélation ? Comment Spinoza définit-il la connaissance, et quel rapport voit-il entre la connaissance révélée et la connaissance naturelle ? Doit-on y voir une opposition ou une continuité ? Est-ce qu’il existe entre la connaissance transmise par les prophètes et celle que l’on obtient par la raison une disjonction ou une subtile articulation ? Les lecteurs apprécieront la teneur des paradoxes.

 

C’est en trois chapitres et un appendice que Gilles Hanus tente de nous éclairer sur la démarche spinoziste, et notamment les deux premiers chapitres du Traité Théologique Politique intitulés « De la prophétie » et « Des prophètes » où il interroge, traite et analyse le lien entre « connaissance » et « nature ».

 

Bien sûr, toute la difficulté de cette articulation tourne autour des méthodes et des critères qui définissent les moyens de connaître, de découvrir la vérité. Et ce qui se joue, dans cette philosophie moderne, c’est la question de l’acquisition de connaissances. Depuis Descartes, l’enjeu majeur de la philosophie se situe au niveau de la connaissance et de sa nature, devenant une connaissance de la connaissance. La curiosité du lecteur sera alors d’autant plus stimulée que la réponse que Spinoza propose dans LÉthique, écrit à la manière des géomètres, requiert le recours aux versets bibliques eux-mêmes.

 

Gilles Hanus se souligne fort à propos :

 

Dans la connaissance prophétique, la prophétie peut certes être dite objet de connaissance, au sens où elle désigne le contenu de ce qui est révélé, mais elle ne saurait être dite condition de la connaissance. »

 

Une démarche saine et philosophique car elle cherche à fonder liberté et philosophie, ou encore, et surtout, politique et liberté. Aussi, on sait, contrairement à ce qui se répand dans la doxa généralement, Spinoza n’a jamais été contre la liberté, ni ne nous a dénié la liberté, mais, il serait trop compliqué en quelques mots de démontrer cela, et je laisse les lecteurs se documenter par eux-mêmes sur le sujet. De plus, ce que je retrouve de très instructif dans le petit livre de Gilles Hanus, qui, de manière succincte mais précise, aborde les rivages du Traité Théologique Politique, c’est la mise en lumière de l’articulation dessinée par Spinoza entre liberté de philosopher, piété et paix de la République, afin de pacifier une société, celle de son époque, traversée de nombreux chaos et de nombreuses impossibilités. C’est cette articulation raisonnée qui est au centre de la réflexion de Gilles Hanus : montrer qu’il s’agit pour Spinoza de séparer les trois domaines et de les articuler autour de la notion de piété, qui n’est autre que la morale, vecteur de liberté et de sagesse, par laquelle une pacification de la vie collective est rendue possible.

L’objet même de cet essai est de creuser cette question et de montrer que la prophétie pour Spinoza est un appel à découvrir une toute autre conception de la vérité.

 

Marc Alpozzo

 

Gilles Hanus, Sans images ni paroles, Spinoza face à la révélation, Verdier, octobre 2018, 14 euros

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