Spinoza, une voie de sagesse

Longtemps, considéré comme un marginal ou un philosophe archaïque, Spinoza n’a pas toujours été en odeur de sainteté, c’est le moins que l’on puisse dire. L’universitaire Blandine Kriegel, qui a consacré ses travaux à l’autre voie que le philosophe juif d’origine portugaise représente dans la galaxie des philosophes, publie un lumineux Spinoza, une autre voie.

Voici donc un livre brillant, éclairant sur un philosophe, longtemps laissé en marge de la philosophie, juif marrane, petit-fils d’immigrants portugais ayant fui les persécutions catholiques pour se rendre dans les Provinces-Unies des Pays Bas, victime d’une tentative d’assassinat par un fondamentaliste, banni par les autorités religieuses de sa communauté à l’âge de 23 ans, ayant fait une lecture historique et critique de la Bible, dans un Traité philosophico-politique que l’on accusa d’avoir été forgé en enfer, admirateur de Descartes et de son rationalisme.

« En 1656, il avait vingt-quatre ans ; c’était un jeune homme ouvert, avenant, aux grands yeux, aux cheveux bruns bouclés et aux sourcils arqués, avec le teint mordoré des Portugais, pâli chez lui par une santé fragile que contenait une volonté farouche », écrit Blandine Kriegel.

Dans son œuvre majeure L’Éthique, Spinoza fait débuter son livre avec Dieu et s’achever dans la joie. Relatant le travail de l’esprit sur la matière, la joie est très présente peut-être même à toutes les pages. Une joie liée à la bienveillance. C’est alors important de comprendre que, si l’on est jaloux, envieux, malveillant avec autrui, on est dans ce que Spinoza appelle les passions tristes, et ça éteint la joie. Ce qui la conserve et la favorise en revanche, c’est l’amitié, la bienveillance, l’amour et la gratuité. Le don est un des meilleurs amis de la joie. La rentabilité, l’efficacité, la rivalité sont les pires ennemies de la joie. Donner c’est recevoir. Et c’est la possibilité d’émergence de la joie. La persévérance dans l’effort est également une amie de la joie. L’effort, le combat pour dépasser un obstacle, l’effort qui nous permet de traverser toutes les résistances de la matière est toujours accompagné de joie. Lâcher dans l’adversité, ne pas fournir l’effort nécessaire qui nous permettra de franchir l’obstacle débouche sur la tristesse. C’est donc, dans cet autre aspect de la pensée de Spinoza sa conception de Dieu, que se fonde son système politique démocratique, qui organise la séparation des pouvoirs politiques et religieux, garantissant ainsi la liberté de conscience et d’expression. L’appendice au livre I de son Éthique, a pour objectif de remettre à sa vraie place la religion, et, la laïcité s’en souviendra, puisque celle-ci ne peut être ailleurs que dans la sphère du privé, combattant la superstition, et la morale de l’obligation fondée sur la peur du châtiment. Perçu comme un athée, un penseur dangereux, Blandine Kriegel fait bien de nous le faire remarquer pratiquer la justice et la charité, nous est également montrer par la raison. On comprend donc pourquoi le grand œuvre de Spinoza s’ouvre sur un Dieu immanent que Spinoza entend prouver de manière more geometrico, ce qui n’a pas manqué de susciter la polémique et le malentendu. Récusant la conception biblique de Dieu, il préfère proposer un Dieu immanent, un Dieu univers qui est la Nature, dont la finalité est la libération de l’homme et son élévation à la perfection et la joie.

Deux lignes de fuite possibles se dessinent, nous explique-t-on : un monde sans Dieu (l’athéisme) avec le fameux Dieu est mort, et une morale de la volonté où, le “je veux” de l’agir pratique de la volonté de puissance, le fidélisme, exprime la part infinie de la spiritualité. On conclut que l’un comme l’autre conduisent au nihilisme pour condamner sans appel toute la modernité occidentale… »

La théologie-politique de Spinoza est également éclairée par Blandine Kriegel qui met en évidence le lien très fort exprimé entre la « République démocratique et la liberté de conscience ».

« L’autre voie » dont nous parle Blandine Kriegel est une voie très moderne, qui fonde nos interrogations contemporaines, et qui souligne le refus de laisser la politique se mêler de religion, afin de fonder la modernité démocratique, et la sécularisation de la religion, qui doit être réservée au domaine privé. Ce vœu que réalisera bien plus tard la laïcité…

Clair et limpide, Spinoza, une autre voie propose des éclairages efficaces et nuancés des œuvres de Spinoza.

Marc Alpozzo

Blandine Kriegel, Spinoza, une autre voie, Les éditions du Cerf, septembre 2018, 504 pages, 25 eur

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