Sartre, un penseur pour le XXIe siècle

Grande spécialiste de Jean-Paul Sartre, on doit à Annie Cohen-Solal l’immense biographie référence Sartre 1905-1980 ainsi que l’album de la Bibliothèque de la Pléiade. Sartre, un penseur pour le XXIe siècle paru chez « Découvertes Gallimard » en 2005 (pour le centenaire de la naissance de l’écrivain) reparaît cet automne (pour les quarante ans de sa mort). L’occasion de se replonger dans le parcours politique de cet intellectuel hors normes.

Un bourgeois né dans le livre

Libéré tôt du poids d’un père, le petit Sartre dit Poulou sera élevé par son grand-père. Karl, image du pater familias, sacrifiera tout à son petit-fils et lui ouvrira les portes de sa bibliothèque. Et s’il commence avec des illustrés de son âge, vite les grands auteurs deviendront les compagnons de Sartre. Ce sera toujours en philosophe qu’il poursuivra ses lectures, donnant de plus en plus de son temps pour soutenir ses amis écrivains, s’engageant dans une préface fleuve qui devient Saint Genet comédien et martyr, une manière de livre sur lui-même à travers la figure de Jean Genet, son absolu contraire. Suivront des études sur Mallarmé, Baudelaire, Flaubert bien sûr — son ennemi si intime…

La vie de Sartre sera une successions de rencontres intellectuelles de premier plan. Si ses études en font un condisciple de Raymond Aron, Paul Nizan, Maurice Merleau-Ponty, Georges Canguilhem ou Bernard Lagache, elles lui permettent de rencontrer Simone de Beauvoir. Elle ne sera pas la seule femme de sa vie (la belle Dolorès Canetti le regrettera…) mais la seule avec laquelle il était lié par ce pacte infrangible. Plus tard, dans les pages de sa revue Les Temps modernes, se réunira tout ce qui compte d’intellectuel de gauche. Et nombre de ceux qui compteront feront leurs armes auprès de lui.

Il est aisé de dire aujourd’hui que Sartre s’est trompé, que, philosophe, il ne le devait pas. Mais il est aussi difficile de comprendre aujourd’hui l’emprise du PCF sur l’intelligentsia et du vrai combat droite-gauche d’une violence incroyable qui menait souvent au coup de poing. Il y avait le camp du Bien, et les ennemis. L’Histoire a heureusement tout remis en perspective.

En haine des bourgeois

Le parcours philosophique de Sartre suit une évolution politique. D’abord indifférent à cette question, il construit ses théories à partir de ses lectures de Husserl, notamment. Et il les exprime en roman (La Nausée) ou en somme philosophique (L’Être et le Néant). C’est comme prisonnier de guerre qu’il va prendre conscience du fait politique et, petit à petit, s’engager. Son coeur battra toujours à gauche. En réaction à son petit camarade Raymond Aron ou en mémoire de son âme-sœur Paul Nizan ? Cela le conduira au compagnonnage avec le Parti communiste français (quand Jacques Duclos son Premier secrétaire est arrêté arbitrairement). C’est alors que, devenu dogmatique par choix, il formalisera sa rupture avec Camus qui critiquait le stalinisme dans L’Homme révolté… Un aveuglement idéologique de Sartre qui ne sera pas le dernier, mais qui en fit, à la fin de sa vie, le jouet de la Gauche Prolétarienne (GP), des maoïstes et de Benni Levi. Naufrage quasi sénile d’un homme qui fut, pourtant, une grande conscience de son siècle. Entre temps, il rencontrera dans le monde tous les hommes qui feront l’histoire politique du XXe siècle.

Sartre, un penseur pour le XXIe siècle est la biographie politique et intellectuelle idéal pour rencontrer l’homme Sartre. Un homme qui aura d’abord posé sa doctrine sur le monde, pour être rattrapé par des idéologues dans sa vieillesse. Reste un homme, qui fit de son mieux pour agir en conscience sur son époque et qui a marqué indubitablement. De ses premières conférences sur la littérature américaine à ses engagements tardifs, quel parcours pour un homme né dans le confort et le refusant au final pour être un soutien que solliciteront tous les combattants pour la Liberté de son temps. Car cette époque, c’est le siècle de Sartre.

Loïc Di Stefano

Annie Cohen-Solal, Sartre, un penseur pour le XXIe siècle, Gallimard, « Découvertes », octobre 2020, 160 pages, 180 illustrations, 19,90 eur

Laisser un commentaire