Le jeune Staline ou l’enfance d’un chef
Que dire d’un garçonnet nommé Iossif Gjougachvili, Sosso pour les intimes, né en 1878, boiteux, handicapé d’un bras, marqué par la variole, battu humilié puis abandonné par un père ivrogne, battu aussi par sa mère qui l’entourait d’un amour tyrannique, un garçonnet incapable de la défendre quand elle se faisait rosser par son cher et tendre, et obsédé par sa probable bâtardise ? Qui, très jeune, adora les fleurs, apprit vite à lire, composa des poèmes, et aurait pu devenir chanteur d’opéra ?
Un poète en herbe

On ne résiste pas à l’envie de citer une strophe de ses délicats poèmes que l’on doit sans doute à ses premiers émois adolescents :
Aube
Le bouton de rose avait éclos
Tendu comme pour toucher la violette
Le lis s’éveillait
Et courbait la tête sous la brise
Hélas, Kéké, la mère, envoya Sosso au séminaire. À cette époque, son petit était encore un croyant fervent. Bien plus tard, lorsque celui-ci fut devenu le maître de toutes les Russies, elle lui reprochait encore de ne pas être devenu pope…
Bandit du déshonneur
Au séminaire, il apprit à se révolter contre des éducateurs tyranniques. Son goût effréné pour la lecture amena cet artiste intellectuel en herbe à lire Marx et Lénine… Il y perdit sa foi et devint militant et aussi bandit d’honneur, au service du parti. À titre d’illustration, le livre s’ouvre sur la description de l’attaque d’une banque avec fusils et grenades. On ne retrouva sur place que les dizaines de morts et de blessés, mais pas trace des nombreux gangsters ni du magot dérobé, ni de Sosso…
Il est vrai qu’il avait de l’entrainement. Dans sa ville natale, Gori, Géorgie, la lutte était pratiquée par tout mâle qui se respecte. Et Sosso avait traîné dans les rues plus que chez lui, teigneux comme pas un, prêt à n’importe quel coup bas, quelle ruse, quel complot pour avoir le dessus, il le fallait étant donné sa petite taille, tant et si bien qu’il était devenu chef de bande… Telle était l’autre face de notre séminariste artiste…
On connait plus la suite, dès lors que Sosso devient Staline, un patronyme officialisé en 1917. Après avoir pratiqué une quarantaine de pseudos, dont Le Vérolé, Le Titubant, Père Koba, La Laitier, Ossip l’excentrique, Le Trottineur…
Tel est le début d’un livre passionnant auquel son auteur consacra « dix années de recherche dans vingt-trois villes et neuf pays, principalement dans les archives récemment ouvertes de Moscou ». Il s’arrête au moment de la révolution de 1917, lorsque Staline sort de l’ombre.
Mathias Lair
Simon Sebag Montefiore, Le jeune Staline, traduit de l’anglais par Jean-François Sené, Passés Composés, janvier 2025, 620 pages, 17 euros