La constellation Rimbaud, un essai biographique incisif

L’œuvre de Rimbaud eut la fulgurance d’une étoile dont les rayons nous parviennent encore… La métaphore est facile, mais elle convient à cet « objet » insolite dans l’histoire littéraire. Romans, essais, biographies, forment la nébuleuse du « mystère Rimbaud » en ses deux composantes : l’énigme du génie poétique, et surtout, celle de son abandon de la création littéraire.

Filant la métaphore astrale, Jean Rouaud, dans La Constellation Rimbaud, essai de 2021 paru récemment en poche chez Folio Galimard, apporte sa contribution à la question.

Avec Rimbaud, l’écrivain explore ce qui intéresse sa propre démarche, le biographique, la création, les liens entre les deux, quand la vie devient elle-même poétique, selon le titre éponyme d’un cycle de textes intitulés La vie poétique.

La « thèse » propre à l’écrivain est formulée en quatrième de couverture de cet essai :  Rimbaud n’aurait pas abandonné la poésie mais c’est elle qui se serait dissoute sous l’effet de la modernité scientifique et mécanique.

« Après trois siècles de bons et loyaux services ; la vieille formule poétique se révèle inapte à rendre le monde moderne ».

Une cartographie stellaire 

Cette interprétation oriente subtilement la démarche biographique, à la fois chronologique et topographique, une sorte de cartographie stellaire de toutes les figures et lieux qui ont compté pour Rimbaud : les chapitres, à partir du foyer originel sont regroupés en parties intitulées « Commentaires ». Après Paris et Londres, « Commentaires 3 », mène le lecteur à Bruxelles, Stuttgart, Chypre, Aden et Harar. On sait que la fin, à Marseille, est un faux retour.

Erudit, prenant en compte les motivations personnelles de chaque individu, mais aussi son rôle dans le contexte historique, le livre est une mine de renseignements et de pistes d’interprétations qui situent chacun dans l’influence ou les liens qui l’ont uni à Rimbaud.

Pour les proches, d’abord la mère, figure majeure, qui occupe déjà une place de choix dans la bibliographie rimbaldienne, puis bien sûr Verlaine, et Mathilde, son épouse ; mais aussi le frère qui n’a pas écrit, sorte de double inversé ;  enfin son capitaine de père, avec peut-être une « mention spéciale » pour la sœur Isabelle qui, selon Jean Rouaud, aurait écrit les plus beaux textes sur Rimbaud, outre quelques dessins : une sorte de réhabilitation pour son rôle dans la documentation de l’œuvre de son frère.

« Elle comprend qu’ailleurs n’est qu’un placebo pour se guérir de cette maladie de l’enfance. »

Le choix de la vie poétique

Toute personne l’ayant côtoyé, toute vie « minuscule » pour reprendre l’expression d’un autre écrivain rimbaldien est présent. Non seulement par ce qu’il peut dire de Rimbaud, mais aussi par ce qu’il représente du contexte, tel Georges, le frère de Paul Demeny, inventeur en 1891 du chronophotographe, ancêtre du cinéma: Demeny réalisera ensuite une œuvre où on le voir articuler “je t’aime” (préfiguration du film d’amour?) ; on sait que Rimbaud s’intéressant à la photographie, avait fait venir d’Europe un appareil photo.

Rimbaud, au contraire de grands autres poètes, a très tôt cherché la poésie non dans la littérature mais dans la vie même, et non pas pour en jouir en artiste contemplateur ou en épicurien, mais en voyageant, en s’impliquant dans la vie économique, en s’intéressant aux nouveaux moyens techniques. Ayant voulu saisir diverses opportunités, dans la marine américaine, le cirque Loisset, il devint négociant en Arabie, et marchand d’armes, entre autres.

L’homme n’eut pas de chance, ni avec ses employeurs qui firent successivement faillite, pas plus qu’avec le roi Ménélik qui n’avait pas besoin de ses armes ; la maladie également eut raison de sa grande résistance physique et de sa vitalité.

Un tempérament

Question de chance et peut-être de tempérament car l’homme est décrit comme compétent et juste, mais solitaire et taciturne.

 « Pressé, c’est bien le mot. Rimbaud est cet homme qui ne tient pas en place, toujours un pied en l’air, qu’on ne sait jamais où situer dans l’espace ».

Clair, complet, subtilement personnel, ce livre montre comment la modernité a pu affecter l’idée que se faisait Rimbaud de la poésie. Sa parution en poche est opportune au moment où les Cahiers de Douai sont au programme du bac de Français.

Les lecteurs qui apprécient l’écriture de Jean Rouaud, peuvent poursuivre avec le dernier opus de l’auteur, Flamboiement de la métaphore, consacré à la poésie et écrit à la fois en prose et en vers.

Florence Ouvrard

Jean Rouaud, La Constellation Rimbaud, Folio Gallimard, octobre 2024, 176 pages, 8 euros

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