Station, la chute : le retour flamboyant du cyberpunk
Après la guerre
L’humanité vit dans un gigantesque complexe spatial dénommé Station, après qu’une guerre ait opposé des Intelligences Artificielles rebelles, regroupées au sein de la Totalité, aux consortiums qui possèdent l’économie. Eux-mêmes sont en fait des IA, censés agir pour le bien des hommes. Jack Forster est l’un d’eux. Protégé par Grey, un des consortiums, il est parti comme tant d’autres combattre la Totalité. Pour ce faire, on lui a greffé Hugo Fist, une IA de combat qui lui apparaît sous la forme d’une marionnette. Leurs relations ne sont pas faciles…
Jack revient sur Station, pas très bien accueilli car il est considéré comme un traître pour avoir refusé d’achever une IA de la Totalité. Jack a des questions cependant à poser sur le fond de cette guerre et il n’a plus beaucoup de temps : le contrat de licence de Fist expire bientôt, ce qui veut dire qu’il héritera du corps de Jack, qui disparaîtra dans le néant… Jack veut revoir ses parents et la femme qu’il aime, Andrea. Mais, sa mère étant décédée et revenue sous la forme d’un spectre numérique, son père refuse de le revoir pour ne pas la blesser. Quant à Andrea, elle a été assassinée mais elle est aussi revenue sous la forme d’un spectre : Jack n’est pas au bout de ses surprises.
Un premier roman percutant
Al Robertson, communicant, n’a jamais rien publié avant Station : la chute. On peut dire ici qu’il a vu grand. Robertson a cherché à croiser hard science et cyberpunk, à travers le thème de la dualité Homme/Intelligence artificielle. On sent aussi l’influence du transhumanisme, à travers le thème de ces spectres numériques, qui reproduisent des personnalités humaines, quelque chose qu’on a déjà croisé chez Greg Egan dans La cité des Permutants par exemple. Robertson excelle aussi à peindre une société de la consommation ultime, où les consortiums s’incarnent dans des IA que les humains adorent comme des dieux (et là, on retrouve des scènes cyberpunk dignes de William Gibson). On a envie de dire chapeau ! tout y est. Pourtant, la réussite de Robertson est ailleurs.
« The house Jack Built » (Metallica)
Jack et Fist, l’homme et sa marionnette/double : voilà un des cœurs du roman, qui emporte l’adhésion du lecteur. Fist n’est pas qu’une IA, il est aussi un produit de la personnalité de Jack Forster. Leurs relations évoluent aussi. Fist est un sale petit garnement, mal élevé, qui houspille fréquemment Jack. Mais, quand une IA du consortium lui propose de le réduire au silence, il refuse, reconnaissant leur relation symbiotique et fusionnelle. Et Fist le reconnait. Qui est le plus humain des deux au fond ? Et le plus réel (là, oui, il y a un aspect dickien). Les deux personnages évoluent dans une sorte de prison, rythmé par un compte à rebours : le dénouement vaut le détour. Station : la chute est un excellent roman cyberpunk, un coup d’essai réussi que l’amateur se doit de lire.
Sylvain Bonnet
Al Robertson, Station : la chute, traduit de l’anglais (États-Unis) par Florence Dolisi, couverture de Manchu, Denoël lunes d’encre, janvier 2018,480 pages, 23 €