Pogrom, Kichinev ou comment l’histoire a basculé
Peu connu en France, Steven J. Zipperstein enseigne la culture et l’histoire juive à Stanford aux Etats-Unis. Pogrom est son premier ouvrage publié en France et revient sur les sinistres évènements de Kichinev (aujourd’hui Chisinau en Moldavie) en 1903.
Sinistre mémoire

Que se passe-t-il donc dans ce coin reculé de Bessarabie dans l’empire russe en 1903 ? Un enfant chrétien est retrouvé mort et une foule accuse les juifs, qui représentent près de la moitié de la population, d’avoir commis un crime rituel en prenant son sang pour fabriquer le pain de la fête de Pessah. La foule se répand alors, sans que les policiers fassent quoique ce soit, pillent et saccagent les boutiques appartenant à des juifs et les viols de femmes juives se multiplient. Bilan effroyable : 49 morts, plus de six cent femmes violées. Si l’état tsariste n’a pas organisé le pogrom (la fameuse dépêche du haut fonctionnaire Plehve est un faux), il l’a permis et très peu réprimé.
Un retentissement mondial
Mais les choses n’en restent pas là. Les journaux s’emparent de l’évènement en Europe occidentale et aux Etats-Unis. Les journalistes débarquent et enquêtent. Tandis que la presse s’émeut, le président Theodore Roosevelt tance publiquement la Russie. Le mouvement sioniste s’empare aussi de l’évènement, très utile pour sa propagande : le poète Bialik compose alors une œuvre qui sera enseignée en Israël dans les années 1950 et 1960. Plus curieusement, le pogrom de Kichinev provoque aussi la rédaction du protocole des sages de Sion dont le journaliste Pavel Krouchevan est un des auteurs : ce sinistre pamphlet diffusé par l’Okhrana tsariste est aujourd’hui en vente libre tout le monde arabe aujourd’hui. Bref, Kichinev a eu un écho qui se fait encore entendre aujourd’hui, n’en déplaise à certains…
Sylvain Bonnet
Steven J. Zipperstein, Pogrom, traduit de l’anglais par Odile Demange, Flammarion, mars 2025, 368 pages, 23 euros