Sans haine mais sans oubli, neuf jeunes filles qui ne voulaient pas mourir

Voici un petit livre qui raconte un épisode, à ce jour peu connu, de la fin de la guerre, en 1945, dans une Allemagne en perdition. Alors qu’un convoi de plusieurs de femmes, toutes anciennes déportées, a quitté les camps sous bonne garde, et marche jour et nuit vers une destination inconnue, neuf d’entre elles parviennent à s’évader, et retrouvent la liberté. Suzanne Maudet est l’une de ces « Neuf jeunes filles qui ne voulaient pas mourir », toutes âgées de 18 à 25 ans, Françaises pour la plupart, mais aussi Espagnole et Hollandaises. Et au retour de cette incroyable évasion, revenue enfin chez elle, elle prit sa plume pour raconter « sans haine mais sans oubli » ce que furent ces jours inoubliables. Son récit n’intéressa personne après la guerre, et il fallut attendre 2004 pour qu’il soit publié chez Arléa. Il vient d’être réédité en collection Poche. 

neuf femmes libres

Avec Sans haine mais sans oubli, on aborde les derniers jours de la Deuxième Guerre mondiale, en Allemagne, où les armées américaines et russes s’apprêtent à faire leur jonction. Près de cinq mille femmes de toute l’Europe, résistantes puis déportées, sont mises sur les routes, marchent jour et nuit, avec la faim, la peur, les coups qui pleuvent si elles s’arrêtent de douleur ou de faiblesse. Mais au fil des kilomètres, alors que leurs rangs s’éclaircissent, plusieurs d’entre elles remarquent que leurs gardiens sont, eux aussi, de moins en moins nombreux. Alors elles décident de quitter une marche qui, (on le saura plus tard) les conduit à la mort, et neuf d’entre elles s’enfuient par un petit sentier de campagne, où elles se cachent avec succès. Elles sont libres, mais évadées et affamées.  

Commence alors un périple hasardeux pour elles, allant vers l’ouest tout en fuyant les bombes, couchant dans la paille des granges, cheminant de villages plus ou moins accueillants en fermes souvent ouvertes à leur détresse. Mais l’amitié, l’optimisme et la jeunesse de ces neuf femmes triomphent de leur malheur ; la compassion de plusieurs familles allemandes devant leur dénuement leur donne vêtements et nourriture. Grâce à quoi elles touchent enfin la terre promise, qui est, en fait, incarnée par les soldats américains en route vers la victoire.  

« Nous étions neuf filles au milieu d’un camp, Neuf qui s’entendaient bien, Neuf qui ne voulaient pas mourir » conclut Suzanne Maudet, qui mourut en 1994 à l’âge de 73 ans, après avoir été résistante, puis arrêtée le 22 mars 1944, un mois après son mariage, emprisonnée à Fresnes, avant d’être déportée à Ravensbrück. De son récit on retiendra l’humour qui se fait jour malgré la mort si proche, le ton presqu’enjoué de certains passages, la belle solidarité de ces femmes qui dorment dans un fossé et partagent en neuf un bout de pain, et une belle leçon d’histoire, mais surtout de vie, d’amour et de courage. 

Didier Ters

Suzanne Maudet, Sans haine mais sans oubli, Arléa, mars 2022, 160 pages, 10 eur

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