Des graffs dans la nuit, de la grotte Chauvet à Judit Reigl

Jean-Jacques Salgon a fait une rencontre : une de ces rencontres qui marquent une vie, et laissent dans la mémoire une empreinte féconde. Il a rencontré l’art pariétal, celui des cavernes, celui que nous a légué l’homme préhistorique. Cette rencontre a eu lieu dans deux grottes ornées de dessins magnifiques, la grotte Chauvet en Ardèche, et la grotte Baume Latrone dans le Gard. Pour qui est resté muet d’admiration devant les fresques de Lascaux, rien n’est pas facile à comprendre que la fascination qui s’est emparée de Salgon. Et c’est pour nous la faire partager qu’il a écrit Des graffs dans la nuit, sous-titré : « De la grotte Chauvet à Judit Reigl ».

trois cents siècles d’histoire de l’art

D’abord, le mot graff. Il est choisi à dessein : aux yeux de l’auteur, les tags qui s’étalent sur les murs de New York, et les évocations stylisées des animaux de l’aurignacien, s’appellent du même nom : graffiti. Cela étant posé, et une fois digéré la petite provoc ainsi affichée, on constate que le sujet va bien plus loin que les modernes graffs. Car Salgon, se promenant de salle en salle, et de caverne en caverne, avec sa lampe, découvre que Matisse, Giacometti, Basquiat, Haring ou Picasso, sont infiniment proches de ces dessins, parfois énigmatiques, et plus vieux de trente mille ans. Non qu’ils en soient les héritiers, mais seulement les continuateurs naturels, comme si c’était toujours le même art qui sortait de la main de l’homme. 

A ce titre, il fait une comparaison intéressante entre « L’enterrement à Ornans », toile célèbre de Courbet, et le « grand panneau » de Chauvet, couvert d’animaux. « Pour moi, écrit-il, ces œuvres sont contemporaines. L’artiste de Chauvet et celui de l’Enterrement ne peuvent pas être totalement étrangers ». Et d’évoquer cette « rencontre, au sens que les chercheurs de trésor donnent à ce mot ». S’agissant enfin de ces deux peintures que tout sépare en apparence, il ajoute « elles laissent pressentir l’existence d’une mythologie qui nous demeure secrète. Quelque chose en effet transcende leur naturalisme, ou leur réalisme, qui est du domaine du sacré ». 

le mythe et le sacré

Mythologie, sacré, ces deux mots reviennent souvent, qu’il s’agisse de l’ours des cavernes, du rhinocéros laineux, ou du regard des lions de Chauvet, qui évoquerait « celui des transporteurs de croix, dans la célèbre fresque de Piero della Francesca à Arezzo ». Concordance fascinante, et un peu inattendue, mais o combien fertile en multiples interrogations. 

Cette visite guidée des deux grottes s’achève sur une évocation de l’artiste Judit Reigl, morte l’année dernière à 97 ans, peintre amie de J.J. Salgon, fascinée par Lascaux, dont les œuvres sont directement inspirées par l’art pariétal. C’est la dernière « rencontre » du livre, qui s’achève avec ses lignes :

Tout comme les chevaux de la grotte Chauvet continuent de caracoler depuis trente-quatre mille ans dans la nuit des cavernes, les toiles de Judit sont là pour affirmer cette force vitale, qui anima un jour son geste, pour célébrer sous nos yeux éblouis cette « liberté libre », qu’adora jadis le poète.

Didier Ters

Jean-Jacques Salgon, Des graffs dans la nuit, éditions Arléa, mai 2021, 80 pages, 16 eur

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