Et je vous offre le néant, Gérard Macé investit le Marquis de Sade

La société contemporaine étouffe sous le retour des tartuffes. La pression médiatique et politique écrase l’individu dans la nasse du bien-penser. Il n’est pas si loin le temps où l’esprit était censuré. Depuis 1956, date du procès inique intenté à l’éditeur Jean-Jacques Pauvert (1926-2014) pour son édition des écrits du Marquis de Sade, on pensait l’esprit libre de s’aérer sur les chemins qui lui seyait. Or Gérard Macé tremble devant la résurgence d’un étouffoir aussi insidieux qu’il revêt les atours de la bienveillance et de la gentillesse. Alors revenir au symbol absolu de la liberté et de la laïcité que fut Sade, pour servir encore aujourd’hui d’exemple, c’est ce que parie Gérard Macé dans Et je vous offre le néant.

Sade est en Pléiade, mais rien n’y fait

« L’enfer sur papier bible », le slogan commercial bien trouvé pour la sortie des œuvres de Sade en Pléiade, reste d’actualité. Contre une œuvre qui n’est finalement pas lue, l’image du Marquis, divin dans le vice, perdure. Gérard Macé ne minore pas les incroyable appétits sexuels du Marquis, mais il les replace dans un contexte de conquête de ses propres limites. Sade est un explorateur et la sexualité — réelle ou fantasmée — est son terrain d’expérimentation. Il invente, il créé un château dans son esprit où chaque pièce serait le lieu d’une découverte nouvelle, d’une capacité hors normes des corps, d’une reculade des limites de la jouissance. Car jouir est encore le meilleur moyen d’être en vie.

réhabilitation de l’homme-liberté

Sade est avant tout un homme qui se sera battu contre l’oppression morale et qui aura su faire de sa liberté une oeuvre d’art. Mais aussi œuvre de philosophe, qui pousse les limites des Lumières en mettant en pratique les théories dont certains de ses personnages (dont Justine) sont des porte-étendards. Loin du sadisme qui n’est qu’une dégénérescence de l’œuvre du Marquis de Sade, Macé relit avec soin les textes mêmes, les conditions de leur production, et définit une vie comme engagement philosophique.

Avec Sade, et c’est sans doute ce qui fait peur, on est confronté sans cesse à la fragilité de nos principes déjà mis à mal par la relativité des coutumes, et que ne protège plus aucune instance supérieure. 

Paradoxe ? C’est en prison qu’il aura donné le meilleur de son esprit débridé. C’est aux fers que son esprit aura produit les œuvres les plus libidineuses, donc les les plus libres. Car l’esprit s’épanouie plus quand le corps est contraint ! (1) Macé propose de réapprendre à lire Sade, avec une finesse d’approche admirable, pour réapprendre le sens du mot Liberté.

Et je vous offre le néant est une ode à la liberté. Un texte délicat où l’esprit brille avec Sade en miroir de ce qu’une société vraiment évoluée pourrait produire de meilleur.

Loïc Di Stefano

Gérard Macé, Et je vous offre le néant, Gallimard, octobre 2019, 142 pages, 19 eur

(1) Sartre dira à son tour : « jamais nous n’avons été plus libres que sous l’occupation allemande » (Situations, III).

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