Le cinéma de Claude Zidi, fou, insolent et facétieux
LClaude Zidi fait partie des cinéastes qui n’existent pas. Je veux dire par là qu’aucun historien, aucun biographe, aucun journaliste ne s’intéresse à eux. S’ils ne se fendent pas eux-mêmes d’un livre de souvenirs ils risquent de tomber dans l’oubli. Et ce en dépit des nombreux succès à leur actif. Tel fut le cas de Gérard Oury et Francis Veber qui sortirent leurs plumes pour avoir le droit d’entrer dans les librairies. Les autres cinéastes dits « populaires » doivent se contenter de rien ou peu. Amusez-vous à dénicher un bouquin sur André Hunebelle ! Comptez le nombre de livres consacrés à Henri Verneuil !… Philippe de Broca bénéficia un bel album (un autre est en cours de fabrication)… Pas de quoi concurrencer la pléthore d’ouvrages sur des faiseurs dont je préfère taire les noms.
Zidi se raconte
Zidi est donc lui aussi passé à l’exercice de « je me raconte » (je n’ai pas lu ses Mémoires). Et, pratiquement au même moment, un admirateur éclairé, Thibault Decoster, eut le culot de lui consacrer un ouvrage reprenant un à un tous ses films en tant que réalisateur. Voilà qui est bien.
Personnellement, j’ai découvert les films de Zidi à compter de sa collaboration avec Pierre Richard. J’avais boycotté ses premières œuvres car les Charlots ne m’amusaient pas (et je détestais déjà toutes les comédies en uniforme). Par une étonnante coïncidence, j’avais été amené à observer le tournage d’une scène de La Moutarde me monte au nez en plein cœur d’Aix-en-Provence. Mon premier tournage ! J’en suis encore ému…
Par la suite, j’ai vu tout Zidi et je l’ai rencontré à plusieurs reprises. Je ne vais pas prendre sa défense et dire qu’il a réalisé chef d’œuvre sur chef d’œuvre. Car je lui ai toujours reproché d’avoir trop souvent recours à des « grosses machines » (je parle de machines authentiques) qui encombraient ses films. Je reconnais que Les rois du gag, Arlette et La Boîte sont de lourdes erreurs de parcours. Et je n’ai jamais aimé Bête mais discipliné ni l’ambitieux mais, au final, prétentieux Deux. Contrairement à M. Decoster, j’ai de la tendresse pour L’Animal. J’apprécie La Totale. Et j’ai de l’admiration pour Les Ripoux (le 1 surtout, à la limite le 2 mais pas du tout le 3 !). Je mets de côté Profil bas parce que je connais les raisons et les conditions dans lesquelles Zidi l’a réalisé. Je ne suis pas une balance, je n’en dirais pas plus (ou alors dans mes mémoires)…
Quoi qu’il en soit, Claude Zidi est un personnage important dans le paysage cinématographique français — comme disent si bien ceux qui veulent jouer les cadors. Il est donc normal, pour ne pas dire obligatoire, qu’un livre retrace sa carrière.
les films et la vie
Dans Le Cinéma de Claude Zidi, Thibault Decoster suit deux voies parallèles et complémentaires (si, si c’est possible). Il y a d’abord les films. Du premier au dernier. Des Bidasses en folie aux Ripoux 3. De 1971 à 2003. L’auteur détaille surtout la méthode Zidi, sa façon de travailler en amont (il est le scénariste de tous ses films) et sur le terrain. Il dévoile notamment les façons souvent rocambolesques dont ces œuvres ont vu le jour. Sous l’égide soit de Christian Fechner, soit de Claude Berri. Il a fallu du talent et de la patience à Zidi pour arriver à ses fins. Mais comme il ne s’est jamais pris au sérieux, il est toujours parvenu à retomber sur ses pattes.
En revanche, Decoster parle fort peu des tournages proprement dits. Comme si les rapports avec les acteurs n’existaient pas. Pourtant Zidi c’est De Funès, Belmondo, Coluche, Serrault, Girardot, Villeret, Noiret, Lhermitte et tant d’autres. Il y aurait forcément à dire sur les liens qu’il a tissés avec ces poids lourds (on sait seulement que Coluche l’appréciait beaucoup). Mais tel n’est pas le parti-pris de l’auteur. Cela donne donc un livre sur Zidi scénariste-réalisateur et non sur Zidi directeur d’acteurs. Soit.
L’autre voie consiste à analyser certaines dominantes dans le cinéma de Zidi. Decoster insiste (un peu trop à mon goût) sur sa présentation très moderne de la gent féministe. Il y a aussi un chapitre sur « Le corps dans l’espace chez Claude Zidi » et « Problèmes identitaires ». Ah bon ? Au moins cela prouve qu’il y a une vraie matière dans ses films et qu’on peut les décortiquer comme on décortique un Truffaut, un Allen ou un Pecas.
Zidi sort de l’ombre
Dans l’ensemble (c’est-à-dire nonobstant les chapitres précités) cet ouvrage est très clair et permet vraiment de suivre le travail de Zidi qui, pour une fois, sort de l’ombre. À cela s’ajoute une belle interview (répartie en plusieurs endroits) du Claude que, bien entendu, on aurait aimé plus longue.
Il faut donc remercier l’auteur d’avoir effectué ce travail (même s’il est plus agréable de revoir l’intégrale de Zidi que l’intégrale de Mocky). Il donne, en quelque sorte, quelques lettres de noblesse au cinéma populaire qui, fort heureusement, n’a pas besoin de cela pour survivre. Et il constitue une forme de merci à M. Zidi. Que ceux qui n’ont jamais ri à aucun de ses films lèvent la main. Et quittent la salle.
Philippe Durant
Thibault Decoster, Le Cinéma de Claude Zidi, LettMotif, novembre 2019, 280 pages, 26 eur