Un silence brutal, un grand roman noir américain

Un auteur primé


Ron Rash est lauréat de plusieurs prix littéraires aux États-Unis où il publie Un pied au paradis, son premier roman policier, en 2002. Serena, paru en 2008 aux États-Unis et traduit en 2011 en France, a bénéficié d’une adaptation au cinéma par Susanne Bier en 2014 sous le même titre. Enfin, rappelons qu’il a obtenu le grand prix de littérature policière en 2014. Un silence brutal vient de sortir dans la prestigieuse collection « La noire » de Gallimard, et d’avance on en attend beaucoup.

L’enfer des Appalaches

Pourquoi en attendre beaucoup ? Parce que Ron Rash choisit de nous emmener dans une des régions les plus pauvres des Etats-Unis, les Appalaches, et choisit de situer son histoire dans une petite ville, à la manière de Jim Thompson. Le shérif Les est à trois semaines de sa retraite. Jamais remis de son divorce avec Sarah, dans lequel il porte une très lourde responsabilité, il a une relation ambiguë et très forte avec Becky, une poétesse. Et puis survient C.J Gant, un ancien copain d’enfance de Les.

Le père de C.J. Gant avait été un agriculteur passable mais un gros buveur. Capable de débarquer en ville avec cinquante dollars en poche et de se réveiller le lendemain sans un sou. A l’école primaire, C.J et sa sœur portaient des vêtements qui auraient fait rougir un clochard, puis ils étaient vus contraints de tendre un ticket à la caissière de la cantine pour avoir droit au déjeuner de l’aide sociale. En CM1 toutefois, C.J avait cessé de prendre ses repas à la cafétéria et apporté des casse-croûte, rien plus qu’une tranche de lard dans un petit pain. »

Depuis C.J s’est élevé dans la vie et travaille pour Tucker, propriétaire d’un relais pour riches citadins. Et C.J a un problème. Il y a Gerald, un vieux fermier, qu’il accuse de venir pêcher des truites dans la rivière de la propriété et de faire peur aux clients. Les va donc voir Gerald pour lui dire de se tenir tranquille. Ce dernier le prend mal et décide d’aller s’expliquer avec Tucker : les gardes du corps mettent aussitôt à terre le vieil homme. Or Gerald est un ami de Becky, une difficulté de plus à gérer pour Les. Le shérif, déjà bien empêtré dans les histoires de trafic de meth qui ravagent le coin, n’est pas au bout de ses peines : on empoisonne bientôt la rivière avec du pétrole lampé et tout accuse Gerald. Pourtant ce n’est pas lui le coupable…

Cauchemar américain

La môme ne devait pas avoir plus de vingt-cinq ans mais on lui en aurait donné quarante. Des plaies grêlaient ses bras filiformes. Elle avait le cheveu rare et gras. Les pommettes saillantes, si bien que tout le bas du visage, surtout la bouche, semblait s’être effondré sur lui-même. »

Ron Rash, c’est ça. Des descriptions impitoyables d’humains à la dérive, loin du rêve américain et du glamour. Pour autant, on ne sombre pas dans le misérabilisme. Un silence brutal se veut aussi la description de vies d’hommes et de femmes, blessés dans leur chair mais qui vivent ou choisissent de revivre. Il y a des meurtres, la récession et les ravages causées par la meth, tous les ingrédients d’un excellent roman noir. Mais on y trouve aussi de la poésie et un roman à deux voix, celles de Les et de Becky. Dur, violent, noir mais terriblement attachant, Un silence brutal démontre clairement qu’il faudra compter à l’avenir avec Ron Rash dans le paysage du roman noir.

Sylvain Bonnet


Ron Rash, Un silence brutal, traduit de l’anglais par Isabelle Reinharez, Gallimard « la noire », mars 2019, 272 pages, 19 eur

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