Venise à double tour, le voyage à l’intérieur de Jean-Paul Kauffmann


Jean-Paul Kauffmann ne manque pas de culot. Prétendre écrire un livre original sur une ville qui a déjà usé tant de plumes, relève d’un beau défi. Mais ce risque ne lui fait pas peur. Et c’est tant mieux, car sa plume à lui s’en sort avec brio et Venise à double tour est une excellente et belle surprise.

Après avoir remonté la Marne, arpenté un champ de bataille, navigué aux Iles de la Désolation, célébré Sainte Hélène, visité la Gironde, la Champagne, la Courlande et les Landes, le voilà installé à Venise. Non pour une énième promenade au Rialto, ou pour nous raconter les lions et les pigeons. Ce qui l’intéresse, c’est ce qui ne se voit pas, ce que personne ne voit, l’invisible de Venise : les églises fermées. Aussi, ignore-t-il les beaux Véronèse de San Sébastiano, ou l’aérienne Vierge rouge des Frari, pour se consacrer à sa quête de l’inconnu : que se cache-t-il derrière ces portes fermées ? 

A Venise, tous les canaux ne mènent pas à Saint Marc, et c’est au fond de Cannaregio, du Dorsoduro, ou aux bords de sa chère Giudecca, que se cachent les trésors qu’il convoite. Ainsi, de page en page fait-on avec lui une belle visite de cette sérénissime république, pas si sereine que çà quand il s’agit d’avouer que plus de 40 églises sont fermées au public, pour des raisons obscures, voire inexpliquées. Pourtant, elles aussi recèlent des trésors de peinture, de retable, d’architecture ou de décoration, dignes des plus beaux musées. 

une enquête vénitienne

Sa recherche se mue en enquête véritable, avec interrogatoire serré du clergé local, qui, au passage, en prend pour son grade. Pourquoi ces églises sont-elles fermées ? demande benoitement le détective. Parce que l’humidité, le salpêtre, l’usure du temps, et les hautes eaux, les ont tellement endommagées, que cela entraine un risque pour le visiteur. « Pour ne pas mourir, écrit Kauffmann, un bâtiment religieux réclame de l’air. Il lui faut le va-et-vient des fidèles. Le problème du sanctuaire est le manque d’aération. La pierre a besoin du réchauffement des âmes ». Moralité : les églises sont fermées parce qu’elles ne sont pas ouvertes…. 

Venise à double tour se lit comme un document irremplaçable, souvent drôle, pour qui veut en savoir plus sur la lagune la plus célèbre du monde, où l’on fait même du vin… et des pieux mensonges ; une cité défigurée par l’intrusion d’immenses paquebots, qui font de l’ombre à ses fragiles palais. C’est un livre singulier, plein d’humour et de découvertes, comme celle d’un jardin inattendu, cadenassé à triple tour, et forcément merveilleux. Il s’appelle du nom de son ancien propriétaire : jardin d’Eden ! 

Mais tout n’est pas édénique, et le souvenir de Napoléon n’en sort pas grandi, ni l’attitude de quelque monsignore désinvolte. Sartre, Casanova, Hugo Pratt ou Lacan, s’en sortent beaucoup mieux. Voilà donc un livre non seulement cultivé, mais surtout sensible et personnel. On oserait dire : terriblement intelligent. Celui d’un homme qui veut savoir pourquoi et comment ? En quoi le passé éclaire le présent ? Le livre d’un homme qui cherche l’homme en toutes choses. Le livre d’un écrivain vrai. 

Didier Ters

Jean-Paul Kauffmann, Venise à double tour, éditions des Equateurs, février 2019, 336 pages, 22 eur

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